Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 32

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
l'identité de genre constitue désormais le principal vecteur des politiques
publiques mises en œuvre pour elles.
Cette juridicisation forme pourtant la matière d'un paradoxe auquel nous
n'avons pas fini d'être confronté·es, dans le droit comme dans d'autres espaces
sociaux. En effet, alors même que l'identité de genre s'immisce via un cadrage
de politiques publiques spécifiques aux personnes trans, elle devient en même
temps, par la déspécification propre au droit, une catégorie identitaire universelle
concernant tout être humain, trans ou non. Ce paradoxe, au cœur de la
reconnaissance juridique de l'identité de genre, permet de remettre sur le métier
la question de la performativité du droit et de s'interroger plus avant sur la
manière dont celui-ci peut à la fois reconnaître et transformer ce qu'il reconnaît,
participant, par le processus même de la juridicisation, d'évolutions historiques
et de transformations sociales majeures. Les catégories juridiques contribuent à
la définition des groupes sociaux dans le temps historique long et produisent ainsi
de la différenciation, comme le soulignaient Coline Cardi et Anne-Marie
Devreux en abordant les rapports entre genre et droit sous l'angle du
coengendrement 3.
L'analyse des dispositifs législatifs de 2016 permet plus précisément de
mettre au jour une double performativité de la juridicisation de l'identité de
genre. Elle dévoile d'abord comment la formalisation de l'identité des personnes
trans représente en même temps une intervention dans la définition même de ces
identités, les conditions de la reconnaissance fixées par le législateur représentant
une nouvelle mise en forme juridique de la transidentité. Par surcroît, la création
d'une nouvelle catégorie juridique accélère un processus de transformation
historique des identités contemporaines qui fait émerger l'identité de genre telle
un régime d'expérience propre, comme nous le verrons plus loin, distinct de celui
du sexe biologique ou de l'orientation sexuelle 4.
I. Genèse d'une reconnaissance
Jusqu'en 2016, le droit positif français ne connaissait pas le genre, quelles
que soient les acceptions existantes de ce terme. Sa non-reconnaissance juridique
est d'ailleurs partiellement due à sa polysémie, le genre renvoyant à des concepts
3. Coline CARDI et Anne-Marie DEVREUX, « Le genre et le droit : une coproduction », dans
Cahiers du genre, 57, 2014, p. 5-18.
4. Ce chapitre est le résultat d'une analyse législative menée sur la juridicisation de l'identité de
genre depuis 2015 ainsi que d'une enquête, réalisée en 2016, auprès du Défenseur des droits.
La partie législative a consisté en une cartographie des différents modèles de reconnaissance
juridique dans le monde ainsi qu'en l'analyse du processus législatif de 2016, de sa genèse à sa
mise à l'agenda. L'enquête auprès du Défenseur des droits a consisté en une série d'entretiens
avec Jacques Toubon et avec des membres de son cabinet. Elle a cherché à reconstruire les
motivations et les stratégies de cette institution, qui s'est fortement investie dans la
reconnaissance de l'identité de genre. Par ailleurs, le mémoire d'Anne-Lise Savart sur le
changement du sexe à l'état civil des personnes transgenres en France (Anne-Lise SAVART, Le
Changement du sexe à l'état civil des personnes transgenres en France : constitution d'un
problème public confiné et sous-politisé, mémoire de master en sociologie politique comparée,
Sciences Po, 2017) a constitué, pour cette recherche, une précieuse ressource.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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