Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 42

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
dispositifs de modification de l'état civil n'étendent leur juridiction que sur une
catégorie étatique, sans nécessairement faire écho à la grammaire polysémique
du changement de sexe. Un nouveau chapitre juridique, politique et social de la
transidentité s'ouvre ainsi par ces réformes et crée une déliaison entre
identification trans et changement de sexe. Au fond, si l'on suit les définitions
modernes, minimalistes et toujours plus inclusives du terme trans, celui-ci
renvoie davantage à une catégorie parapluie regroupant une grande variété
d'identités de genre plutôt qu'à une identité substantielle unique 37. Il ne désigne
pas tant des personnes qui changent de sexe que des personnes qui ne se
reconnaissent pas dans le sexe qui leur a été assigné à la naissance, et peuvent
conséquemment en modifier la mention dans les actes d'état civil. Les nouveaux
dispositifs élargissent ainsi la population des ressortissants et des ressortissantes
de l'action publique, montrant comment le droit peut substantiellement modifier
ce qu'il avait pour objet de simplement constater ou reconnaître. On est ici au
cœur de l'idée même de performativité du droit, celui-ci ne se contentant pas
d'être le reflet des transformations identitaires contemporaines, mais
infléchissant celles-ci en profondeur. Le droit participe ainsi de la production de
nouvelles formes de subjectivation engagées dans le rapport aux institutions,
processus que le philosophe des sciences Ian Hacking décrit comme un
« nominalisme dynamique » 38 : les catégories juridiques et les groupes de
personnes catégorisées se constituent mutuellement sur le mode de la
« convergence » entre groupes et systèmes de classification, comme l'analysent
également les sociologues des sciences et des techniques Geoffrey Bowker et
Susan Star 39. Ce faisant, le droit apparaît comme un opérateur historique de
transformations sociales reconfigurant les identités de sexe et de genre
contemporaines.
III. L'émergence d'une catégorie historique ?
La reconnaissance juridique de l'identité de genre donne à voir une première
forme de performativité du droit par laquelle, en reconnaissant une catégorie de
population, le droit contribue à la redéfinir dans les dispositifs de politiques
publiques qu'il met en œuvre - littéralement : il produit du genre. Au demeurant,
cette juridicisation révèle un paradoxe inhérent aux processus de reconnaissance
juridique : alors que la juridicisation d'une catégorie identitaire renvoie à la
définition d'un groupe de ressortissants et de ressortissantes dans un pan d'action
publique spécifique, la logique du droit entraîne la déspécification de la catégorie
reconnue. En effet, si c'est bien la politisation des questions trans qui a amené à
37. Cf. Paisley CURRAH, Richard JUANG et Shannon P. MINTER, Transgender Rights, op. cit. ;
Susan STRYKER, Transgender History, op. cit.
38. Ian HACKING, « Making Up People », dans Thomas C. HELLER et Christine BROOKE-ROSE
(éd.), Reconstructing Individualism: Autonomy, Individuality, and the Self in Western Thought,
Stanford University Press, Stanford, 1986, p. 222-236.
39. Geoffrey BOWKER et Susan Leigh STAR, Sorting Things Out : Classification and its
Consequences, MIT Press, Cambridge, 1999.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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