Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 58

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
de cette loi qui entendait réaffirmer la volonté de l'État de lutter pour l'égalité
réelle 48. Ainsi, à l'amendement qui proposait, pour éviter toute hiérarchisation,
d'intituler ce chapitre « lutte contre toutes les formes de discrimination » et non
plus « lutte contre le racisme et les discriminations », la secrétaire d'État répondit
en insistant sur la nécessité de distinguer les deux termes. Tandis qu'elle revint
sur « l'utilité symbolique » de ce terme particulier [celui du racisme], elle
s'opposa d'autre part à l'introduction du « sexisme » dans l'intitulé du chapitre,
le renvoyant aux « autres critères de discrimination » non mentionnés dans le
débat. Même si le rapporteur général finit par clore le débat en estimant que « la
distinction entre le sexisme et les discriminations à l'égard des femmes [était] à
rapprocher de la différence entre racisme et discrimination » 49, la prise de
position de la secrétaire d'État met clairement en concurrence les discours
féministes et antiracistes. Ce faisant, elle incarne ici les difficultés
gouvernementales (plus particulièrement, ici, celles du gouvernement Valls 2) à
appréhender conjointement les divers motifs de discrimination et, d'autant plus
fortement encore, leur potentiel entrelacement 50.
L'étude de ces discours révèle donc les logiques concurrentielles qui se jouent
entre les acteurs et actrices au sein des luttes contre les discriminations. Mais
celles-ci nous éloigneraient presque des réalités sociologiques bien plus
complexes du féminicide. « Le féminicide ne distingue pas la race, la classe ou
la culture et il admet la combinaison des effets du racisme et de la misogynie
dont sont victimes les femmes de couleurs », écrit Jill Radford au début des
perpétrées sur le territoire français fut recensée (cf. Mélissa BOUNOUA, « Après les attentats,
des musulmans agressés partout en France », URL :
.
48. Loi « Égalité et citoyenneté », note 8. Communément opposée au principe d'« égalité
formelle » (défini comme exigeant « le traitement juridique identique des personnes placées
dans des situations similaires »), la notion juridique d'» égalité réelle » renvoie, en termes
d'égalité femmes-hommes, « aux traitements juridiques différenciés entre les femmes et les
hommes, autorisés ou imposés afin de remédier aux inégalités de situations qui existent entre
les femmes et les hommes » (Elsa FONDIMARE, « La mobilisation de l'égalité formelle contre
les mesures tendant à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes : le droit de la nondiscrimination
contre les femmes ? », dans La Revue des droits de l'Homme, 11, 2017, URL :
.
49. Loi « Égalité et citoyenneté », note 8.
50. En témoignent d'autre part les effets d'agendas au cours desquels les projets antisexistes et
antiracistes se succèdent sans jamais réellement parvenir à se combiner. La lutte contre le
harcèlement sexuel, ravivée par l'affaire Weinstein et devenue le cheval de bataille de l'exsecrétaire
d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, en est
emblématique, en ce qu'elle finit par remiser les enjeux antiracistes pris pour objets par Ericka
Bareigt, voire par s'entrechoquer avec ces derniers à l'occasion de l'affaire Tariq Ramadan.
L'islamologue Tariq Ramadan fut accusé en 2017 et 2018 de viol, d'agression et de harcèlement
sexuel par cinq femmes. Il fut soutenu par plusieurs associations musulmanes et figures des
mouvements antiracistes (qui mirent en cause l'entreprise de diabolisation des intellectuels
musulmans), ce qui suscita l'indignation de plusieurs personnalités et collectifs féministes, dont
certaines également engagées dans les mouvements antiracistes, qui en appelèrent au respect
des victimes.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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http://www.slate.fr/story/110347/attentats-islamophobie-france https://journals.openedition.org/revdh/2885

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