Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 62

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
la notion de « féminicide ». Il nous faut en effet rappeler, comme nous l'avons
fait plus haut, que « l'état de grossesse » fut introduit aux termes des
circonstances aggravantes du meurtre bien avant le motif du sexisme. Ces
derniers éléments mettent en avant les conditions de la reconnaissance sociale et
juridique des crimes féminicides : lorsque le geste homicide intervient dans le
cadre circonscrit de la relation conjugale, le caractère relationnel de l'acte tend à
dissimuler sa spécificité de genre ; au contraire, lorsque l'acte rompt l'équilibre
familial et trouble potentiellement la production des futurs citoyens et
citoyennes, l'application de ces circonstances aggravantes devient plus aisément
envisageable. Plus que le sexe des victimes, c'est donc leur condition de
« mères » qui est appréhendée par le droit pénal français. Cette fois, le caractère
relationnel de l'acte (entendu en tant qu'il porte atteinte à la relation de la mère
et de l'enfant) tend à aggraver le crime. Malgré les prétentions universalistes du
droit, sa pratique dans les affaires de féminicide et les discours qui s'y rapportent
perpétuent donc une politique du genre bien précise. La géométrie variable du
recours au caractère relationnel de ces crimes en témoigne ; elle véhicule en ellemême
les cadres de reconnaissabilité des victimes en tant que telles, ainsi que le
degré de responsabilité des auteurs de ces crimes.
***
Le débat juridique sur l'inclusion du féminicide dans le droit pénal français
témoigne des difficultés courantes que rencontrent les mouvements féministes
dans la lutte pour la reconnaissance des inégalités. Confrontées à un
universalisme républicain qui porte mal son nom, mises en concurrence avec des
motifs de discriminations irréductibles les uns aux autres et relativisées au regard
de la complexité des relations sociales, les inégalités entre les femmes et les
hommes, qu'elles s'expriment dans l'espace « privé » ou « public », peinent
souvent à trouver recours en droit. Mais ceci n'est pas spécifique à cette sphère.
En termes politiques, la lutte contre le féminicide pâtit en effet de biais
semblables. Dissimulés au sein des violences faites aux femmes, les homicides
sexistes se trouvent tout simplement occultés dans les recommandations
ministérielles. De 2016 à 2019, les quatrième et cinquième plans
(inter)ministériels contre les violences faites aux femmes délaissent par exemple
entièrement la question des meurtres sexistes pour se concentrer, dans la limite
des moyens alloués aux secrétariats d'État successifs chargés de la question, sur
des mesures préventives 61. Si ces dernières ont pour intérêt de s'attaquer aux
sources du problème, que faire lorsqu'elles ont échoué ? N'y a-t-il plus aucune
prise politique dès lors que ces violences arrivent à leur paroxysme ? Des
61. Danielle BOUSQUET, Yseline FOURTIC et Romain SABATHIER, Rapport final d'évaluation du
quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes,
Haut commissariat à l'Égalité entre les femmes et les hommes, 22 novembre 2016 ; ministère
des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, cinquième plan de mobilisation et de lutte
contre toutes les violences faites aux femmes, 2017/2019.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
62

Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.