Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 98

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
judiciaires, recours au placement, recours au soin dans la procédure, etc.), ainsi
qu'en la lecture linéaire des différentes pièces composant ces dossiers judiciaires,
notamment les divers rapports éducatifs, sociaux ou sanitaires établis en vue
d'éclairer les juges dans leurs décisions. Les données constituées sont donc à la
fois de l'ordre des statistiques descriptives et de l'analyse de discours (au sens
des énoncés produits à propos des jeunes dans des dossiers les concernant). Elles
ont été pensées comme complémentaires d'une approche ethnographique du
tribunal pour enfants, qui sera moins directement mobilisée dans ce chapitre,
mais qui s'est révélée importante pour l'interprétation des données recueillies :
les dossiers sont indissociables de leur contexte de production, et leur analyse a
été prolongée par des entretiens et observations réalisés au fil de l'enquête.
II. Une faible sanitarisation des prises en charge de garçons, public
majoritaire du tribunal pour enfants
La lecture de dossiers judiciaires de mineur·es donne à voir la forte
homogénéité du public de l'institution judiciaire. Cette homogénéité est
caractérisée par la sur-représentation des jeunes des classes populaires parmi les
justiciables, déjà mise en avant, dans les années 1970, par le sociologue Nicolas
Herpin 10 et confirmée depuis. Cette homogénéité de classe est associée à une
sur-représentation des justiciables racisé·es 11, c'est-à-dire, dans le contexte
français, non-blancs, appartenant aux minorités ethno-raciales 12. Enfin, on sait,
cette fois de source institutionnelle, qu'au pénal, près de quatre justiciables sur
cinq sont des garçons 13, quand l'assistance éducative 14
se révèle plus mixte.
L'enquête menée dans les tribunaux de Paris et Créteil n'infirme en rien ce
constat d'une nette sur-représentation des garçons des classes populaires, très
souvent racisés, c'est-à-dire appartenant aux minorités ethno-raciales de la
société française, noires et arabes essentiellement. La présence des filles demeure
exceptionnelle dans la chaîne pénale, de même que celle des filles et garçons des
classes intermédiaires ou supérieures. Dans la chaîne civile, les choses sont un
peu différentes, avec le même constat d'une sur-représentation des minorités et
des classes populaires, mais de manière moins marquée.
Il s'est agi de comprendre, dans cette recherche, non pas les raisons de cette
sur-représentation mais son actualisation dans le quotidien judiciaire, via une
10. Nicolas HERPIN, L'Application de la loi : deux poids, deux mesures, Seuil, Paris, 1977.
11. On parle de « racisation » pour décrire les mécanismes racistes (discours et pratiques), et de
personnes « racisées » pour décrire les groupes de personnes qui apparaissent, dans un contexte
donné, comme les objets d'un processus de racisation (cf. Colette GUILLAUMIN, « " Je sais bien,
mais quand même " . Ou les avatars de la notion de " race " », dans Le Genre humain, 1, 1981,
p. 55-64).
12. Fabien JOBARD et René LÉVY, « Les contrôles d'identité à Paris », dans Questions pénales,
XXIII, 1, 2010, p. 1-4.
13. Données de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, année 2011.
14. L'assistance éducative désigne, en France, le volet protectionnel de l'activité du juge des
enfants, qui a la double compétence de protéger les enfants en danger (assistance éducative) et
de sanctionner les mineur·es délinquant·es (justice pénale).
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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