Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 10

Introduction
Perception critique du droit administratif et révélation des
impensés
Un point de vue critique sur le droit et notamment le droit administratif
permet toutefois de « faire entrer dans le champ assigné au droit administratif
des questions délaissées, la plupart du temps, par les juristes de doctrine en
mettant en évidence les enjeux sociaux et politiques sous -jacents à sa construction
et relativisant par là même son autonomie », comme le remarque Jacques
Chevallier 17. Une telle approche, souligne Grégoire Bigot, « suppose que le
droit nous renseigne sur autre chose que lui-même », invite à « se défaire de
(...) la prétendue neutralité du droit - dans la mesure où l'objet même du droit
est problématique, possiblement idéologique, et qu'il est donc toujours " à penser " .
Entendre par là qu'il faut perpétuellement l'interroger ». Elle revient à
admettre que le droit adminis tratif, droit politique, « raconte cette chose qu'on
appelle l'État, sous ses différentes manifestations », et dit encore l'« art des juristes
d'asseoir la domination de l'État ». Questionner les impensés du droit
administratif, suppose ainsi de « s'extraire du champ de l'érudition technicienne
prétendument neutre », questionner « la raison d'être et les fins du droit
administratif », bref « ne plus regarder le droit administratif du dedans , mais du
dehors ou depuis le dehors, en empruntant à d'autres sciences leurs outils et
leurs méthodes ».
Ce déplacement du regard incite à traiter comme objet de connaissance des
catégories de perception et de pensée employées comme des instruments de
connaissance 18 et tenues pour naturelles - « naturalisées ». Il conduit notamment
à interroger des catégories ou des lignes de partage tenues pour « données
préalables » et comme telles « toujours et déjà prêtes à l'usage » 19. Jacques
Caillosse a pu l'illustrer en revenant, par exemple, sur « la place attribuée » à la
distinction entre administration et politique « dans les dispositifs de pensée » et
sur l'articulation entre ce partage et les doctrines de la séparation des pouvoirs
20.
Une perception critique du droit administratif conduit aussi à parcourir
l'espace des sciences sociales avant de revenir au droit. Réfléchir en termes
d'impensés du droit administratif invite ainsi à « cheminer hors du droit », en se
« risquant » sur des territoires qui « ne sont plus tout à fait les territoires consacrés
du juriste » 21. Pareil cheminement peut emprunter la voie de l'histoire 22,
17. Jacques CHEVALLIER (citant Jacques Caillosse), chapitre rédigé dans cet ouvrage.
18. Pour reprendre la claire distinction de Pierre BOURDIEU (« La domination masculine » , dan s
Actes de la recherche en sciences sociales, 84, septembre 1990, p. 4).
19. Jacques CAILLOSSE, « Le partage administration/politique : un impensé des doct r ines de la
séparation des pouvoirs ? », dans Pascal MBONGO (éd.), La séparation entre administration et
politique en droits français et étrangers, Berger-Levrault, Boulogne-Billancourt, 2014, p. 27.
20. Ibid., p. 24.
21. Jacques CAILLOSSE, La constitution imaginaire de l'administration, PUF, PARIS, 2008 [ co ll.
Les Voies du droit], p. 13.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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