Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 102

Les impensés du droit adminstratif des territoires
la loi du 8 août 2016 est révélatrice à cet égard : celle-ci est conçue comme une
richesse, un capital, de même que l'environnement est un « patrimoine qui génère
des services écosystémiques et des valeurs d'usage » (art. L 110-1 C.
env.) 41. Les éléments naturels n'ont donc pas de valeur intrinsèque, mais sont
considérés comme des biens-environnements, pour leur valeur instrumentale 42.
Les méthodes de compensation des atteintes à la biodiversité (par exemple
la recréation d'une zone humide après la destruction d'un tel milieu par la construction
d'un aéroport ou autre ouvrage) sont une illustration parfaite de cette
culture du résultat 43 : l'objectif de la compensation est « l'absence de perte
nette, voire le gain de biodiversité » aux termes de l'article L 163-1 I du Code
de l'environnement. Cette seule formule est révélatrice de la conception néomanagériale
de la compensation, qui repose sur les principes de quantification
de la biodiversité et de substituabilité entre capital naturel et capital technique.
La réduction de la biodiversité à une logique gestionnaire et technique permet
d'occulter le fait que la compensation vise à maintenir les activités des sociétés
humaines inchangées. C'est sa finalité politique. Elle minimise les irréversibilités
écologiques et le rôle des humains dans la crise de la biodiversité. La fixation
sur les mesures compensatoires , qui donnent lieu à de nombreuses études
et sont détaillées par la loi Biodiversité (art. L 163-1 et s., C. env.) se fait aussi
au détriment d'autres techniques, l'évitement et la réduction, qui sont par hypothèse
moins impactantes et présentées comme d'application prioritaire, en théorie.
La compensation des atteintes à l'environnement occulte la valeur systémique
de la biodiversité, ainsi que les interdépendances entre milieux naturels
et milieux sociaux, difficilement chiffrables. Ces données constituent
« l'impensé systémique » de la compensation 44.
Nombre de projets, publics comme privés, ont échoué ou achoppent sur
cette question des atteintes à l'environnement et l'impossibilité de les compenser.
Ainsi à Notre-Dame-des-Landes, les méthodes de compensation des zones
humides prévues par le concessionnaire ont été désavouées par les experts après
l'enquête publique menée au titre de la loi sur l'eau 45. Alors que le projet de
barrage de Sivens a été abandonné en janvier 2015, le juge administratif a annulé
en juin 2016 la déclaration d'utilité publique et les arrêtés autorisant la
destruction d'espèces protégées et le défrichement, au motif notamment du ca41.
Voir Agathe VAN LANG, « La loi Biodiversité du 8 août 2016 : une ambivalence assumée » ,
dans AJDA, 2016, p. 2381.
42. Il y a un lien évident entre le maintien de la fiction de la nature-marchandise véhiculée par le
droit de l'environnement, et la pérennisation de l'économie de marché qui repose sur ce t ype
de fiction juridique (voir Alain SUPIOT).
43. Comme d'autres instruments du droit, tels que l'évaluation des impacts de grands p rojets
d'infrastructures, dont les critères sont conçus pour minimiser les risques environnementaux et
au final faire passer les projets.
44. Rémy PETITIMBERT et Clémence GUIMONT, « Les conséquences politiques de la t raduct ion
néomanagériale de la compensation : l'impensé systémique », dans Développement durable et
territoires [en ligne], 9, 3, nov. 2018.
45. Voir Agathe VAN LANG, « Le projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes à l'épreuve de la
compensation écologique - et inversement », dans Dr. adm., novembre 2013, p. 8.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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