Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 12

Introduction
il importe d'observer que les sciences sociales et politiques françaises ont pendant
les années 1980-1990 assez largement « perdu de vue » l'État, même si
« elles sont allées moins loin dans l'oubli et/ou la déconstruction de l'État et de
l'administration que leurs homologues américaines » 30. Le retour de l'État,
porté par « la geste réintégratrice caractéristique du néo-institutionnalisme y [a
aussi été] moins ample qu'aux États -Unis » 31. En tout état de cause, par leur
apparente proximité avec ceux du droit administratif, les impensés des sciences
sociales pourraient également alimenter la réflexion des juristes.
Territoires impensés du droit et impensés du droit
administratif des territoires
Des impensés peuvent se révéler aussi bien dans la science du droit administratif
que dans l'action de l'État par le droit administratif. L'ouvrage
s'organise ainsi autour de deux temps forts. Dans un premier mouvement sont
abordés les territoires impensés de la science du droit administratif. Le second
mouvement explore les impensés des « producteurs » du droit, à travers
l'exemple du droit administratif des territoires.
Territoires impensés du droit administratif
Dans la réflexion sur les impensés du droit administratif, l'analyse peut
prendre pour point de départ la philosophie morale et politique occidentale. Benoît
Plessix s'étonne ainsi - comme on l'a vu - que l'une de ses questions centrales,
celle du rapport des moyens aux fins, soit absente du droit administratif
français, alors que « le droit public, qui prolonge sur le terrain juridique les
grands questionnements de la philosophie morale et politique, eût dû logiquement
conduire les juristes publicistes à s'y intéresser ». Faut-il considérer que la
question du rapport entre les fins et les moyens n'a jamais été pensée, directement
ou même indirectement, en droit administratif français ? Peut-être vaudrait-il
mieux parler à ce sujet d'« informulés » que d' « impensés ». Certaines
catégories maîtresses du droit administratif semblent en effet de nature à susciter
une réflexion sur la question du rapport des moyens aux fins : la dialectique
du service public et de la puissance publique et le principe de proportionnalité.
À l'examen, cependant, il apparaît que les concepts de service public et de
puissance publique n'ont guère été mis en relation avec la question du rapport
des fins et des moyens de l'action administrative, qui n'a pas été pensée véritablement.
S'agissant de la proportionnalité, indiscutablement présente dans le
droit positif, toutes ses dimensions n'en paraissent pas pensées pour autant et,
notamment, la règle de l'adéquation des moyens aux fins. Or, dans la mesure
30. Philippe BEZES et Frédéric PIERRU, « État, administration et politiques publiques : les déliaisons
dangereuses. La France au miroir des sciences sociales nord-américaines », dans
Gouvernement et action publique, 2, 2012, p. 44.
31. Ibid.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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