Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 122

Les impensés du droit adminstratif des territoires
De manière plus générale, Paris doit même être considéré comme un impensé
constitutionnel. C'est un fait, Paris est ignoré par le texte de la Constitution
de 1958 : d'un côté, Paris n'est pas mentionné à l'article 2 relatif aux emblèmes
de la République ; de l'autre, Paris n'est pas évoqué par les dispositions du
Titre XII relatif aux collectivités territoriales. Ce silence constitutionnel est remarquable
à plus d'un titre. D'une part, il l'est s'agissant d'un État volontiers
présenté comme centralisé. D'autre part, il l'est encore lorsque l'on observe les
Constitutions étrangères. Nombreuses sont celles qui évoquent la localisation et
le statut de la capitale de l'État concerné : par exemple, l'article 5 de la Constitution
espagnole affirme que « la capitale de l'État est Madrid », l'article 22 de
la Loi fondamentale allemande, que « la capitale de la République fédérale
d'Allemagne est Berlin », l'article 1er du chapitre 4 de la Constitution suédoise,
que « les sessions du Parlement ont lieu à Stockholm », l'article 3 de la Constitution
turque, que « l'État turc forme, avec son territoire et sa nation, une entité
indivisible. Sa capitale est Ankara ».
Le silence constitutionnel français a une conséquence non négligeable :
l'élaboration du statut de Paris est laissée à la discrétion du législateur. Ces
dernières années, le législateur a largement profité de ce silence et est fréquemment
intervenu pour modifier le statut de Paris : d'abord, avec la loi
MAPTAM du 27 janvier 2014 3 ; ensuite, avec la loi NOTRe du 7 août 2015 4 ; enfin,
avec la loi du 28 février 2017 5. Sans doute n'est-il pas inutile de rappeler
que le contexte dans lequel sont intervenues ces réformes est celui de la promotion
de la différenciation territoriale, un thème cher à Jacques Caillosse 6. Pour
l'essentiel, cette dernière consiste soit à adapter le droit ou les institutions à des
caractéristiques particulières, le plus souvent géographiques ou topographiques,
soit à corriger des inégalités de fait, généralement de type économique, par des
outils de compensation 7. Si la coexistence de ces objets distincts a longtemps
brouillé les rapports entre la différenciation territoriale et le principe d'égalité,
c'est moins le cas aujourd'hui. D'une part, la différenciation territoriale est présentée
comme susceptible de permettre de prendre en compte la diversité des
territoires, mais également de « favoriser les initiatives et les libertés locales » 8.
D'autre part, on envisage de modifier la Constitution pour y introduire un droit
3. Loi n° 2014-58 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des mét ropoles.
4.
Loi n° 2015-991 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
5. Loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain.
6.
Voir notamment Jacques CAILLOSSE, L'État du droit administratif, Lextenso-LGDJ, Par is,
2015, p. 182 et s.
7. Voir Olivia BUI-XUAN, Le droit public français entre universalisme et différencialisme,
Economica, Paris, 2004.
8. Arnaud VIALA, Jean-François CESARINI et Guillaume VUILLETET, Rapport d'information sur
la préparation d'une nouvelle étape de la décentralisation en faveur du développement des
territoires, Assemblée nationale, n° 1015, 31 mai 2018, p. 54.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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