Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 125

Jeanne CHAUVEL et Olivier RENAUDIE
ritoire de la ville-capitale provoque en effet un rétrécissement des affaires
d'intérêt local au profit de celles d'intérêt national 21. Ainsi revient-il à l'État de
pourvoir aux affaires de la capitale sur le fondement de règles spécifiques, entraînant
des dérogations plus ou moins importantes selon les cas. Une fois ce
constat dressé, reste à identifier les motifs de cette spécificité statutaire.
La spécificité statutaire de la capitale est assurément liée à la présence des
pouvoirs publics sur son territoire. Plus précisément, celle-ci peut être motivée
par trois séries de considérations. La première série de considérations est, si
l'on peut dire, d'ordre politico-sécuritaire. La capitale est soumise à un statut
spécifique dans le but de protéger les organes suprêmes de l'État là où ils résident.
Il faut en effet souligner que la concentration des pouvoirs en un même
lieu et son influence sur le pays tout entier posent la question du maintien de
l'ordre public dans la capitale de manière très spécifique : ce n'est pas seulement
la sécurité des habitants de la capitale qui est en jeu, c'est aussi celle du
Pouvoir en place 22. On s'explique dès lors l'affirmation de Tocqueville selon
laquelle « la centralisation administrative et l'omnipotence de Paris sont pour
beaucoup dans la chute des Gouvernements que nous avons vus se succéder
» 23. La deuxième série de considérations est relative au caractère exemplaire
de la capitale. La capitale est soumise à un statut spécifique car les gouvernants
souhaitent en faire une ville en tous points exemplaire. Rarement évoqué
24, cet élément renvoie à l'idée selon laquelle les pouvoirs publics souhaitent
faire de « leur » capitale un symbole de leurs idéaux et de leur politique. Ce
souci se retrouve, par exemple, dans les premiers mots de l'édit royal du 16
mars 1667 25 : « Notre bonne ville étant la capitale de nos États et le lieu de
notre séjour ordinaire, nous avons estimé que rien n'était plus digne de nos
soins que d'y bien régler la justice et la police ». Cette volonté de faire de la
capitale une « vitrine » 26 se retrouve par ailleurs à propos des capitales implantées
dans une ville nouvelle, comme par exemple New Delhi ou Brasilia. La
troisième série de considérations est spécifique aux capitales des États fédéraux
27, lesquelles doivent être soumises à un statut spécifique, afin d'assurer la
neutralité de la capitale. Comme a pu le souligner Maurice Duverger, « dans les
États fédéraux, il convient d'assurer l'égalité des États membres en ne confiant
21. Sur la délicate distinction entre les affaires d'intérêt local et celles d'in térêt national, voir
Jean-Marie PONTIER, L'État et les collectivités locales. La répartition des compétences, LGDJ,
Paris, 1978 [coll. Bibl. droit public], p. 149.
23. Alexis DE TOCQUEVILLE, L'Ancien Régime et la Révolution, Gallimard, Paris, 1967 ( rééd. )
[coll. Folio], p. 151.
24. Voir néanmoins Xavier PRETOT, Washington, D.C. Contribution à l'étude du régime juridique
des capitales, thèse, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1986, p. 274.
25. Édit portant création d'un lieutenant de police de Paris.
26. Selon le terme de Xavier PRETOT, op. cit., p. 275.
27. Sur les capitales des États fédéraux, voir Caroline VAN WYNSBERGHE, « Les capitales fédérales,
une comparaison », dans Revue internationale de politique comparée, 1, 2003, p. 63.
22. Voir en ce sens Pierre LEGENDRE, Trésor historique de l'État en France. L'Admin istration
classique, Fayard, Paris, 1992, p. 235.
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Recherches et travaux, vol. 35/2022

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