Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 130

Les impensés du droit adminstratif des territoires
ment dans le petit monde des élus locaux et des cadres territoriaux de l'agglomération
parisienne au début des années 2000, puis au plus haut niveau de
l'État en 2007. Le Grand Paris devient un problème public.
En effet, les acteurs publics locaux font un double constat au début de la décennie
2000. D'une part, la métropole est en concurrence économique accrue
avec Londres, et certains signaux économiques alertent 50. Le caractère exceptionnel
de cette métropole en France, d'un point de vue démographique, historique,
économique, ou encore culturel est souligné, et les discours valorisant
l'agglomération parisienne comme locomotive économique de la France sont
mis en avant, rompant ainsi avec la thèse d'après -guerre d'un Jean-François
Gravier favorable au développement des villes moyennes sur l'ensemble du territoire
français pour dénoncer la centralité de Paris.
D'autre part, la croissante fragmentation institutionnelle, sociale et économique
pose un problème de gouvernement, certains chercheurs s'interrogeant
alors sur l'ingouvernabilité de ces grandes métropoles 51. Le territoire régional
francilien comporte ainsi 1 280 communes, dont plus de 350 dans la petite couronne,
huit départements, des centaines de syndicats techniques, les services de
l'État déconcentré, le poids des grands ministères, les opérateurs... 52 Or l'unité
urbaine francilienne ne dispose pas d'institution unifiée capable de mettre en
cohérence l'action publique et d'assurer un leadership sur le territoire métropolitain
53.
Le Conseil régional d'Ile-de-France gouverne un territoire qui déborde celui
de l'unité urbaine, avec de vastes franges rurales, notamment à l'est dans le département
de Seine-et-Marne. L'unité urbaine est découpée en plusieurs échelons
d'administration : les départements (quatre dans la petite couronne, huit en
Ile-de-France depuis la réforme de 1964), les intercommunalités, et enfin les
communes. Loin d'organiser un gouvernement unifié à l'échelle de la métropole
francilienne, le développement de l'intercommunalité s'est opéré sous la
forme de multiples EPCI (établissements publics de coopération intercommunale),
plus concurrents que solidaires au sein des aires urbaines . Le territoire
métropolitain est ainsi fragmenté entre plusieurs collectivités, et entre les acteurs
publics et privés, qui, en se constituant en veto players dans leurs conflits
et leurs intérêts divergents, vont compliquer, voire empêcher, la prise de décision.
50.
Voir à ce sujet Frédéric GILLI, Grand Paris : l'émergence d'une métropole, Presses de
Sciences Po, Paris, 2014.
51. Christian LEFEVRE, « La région Ile-de-France, une métropole ingouvernable ? », dans Bernard
JOUVE et Christian LEFEVRE (éd.), Métropoles ingouvernables, Elsev ier/Lavoisier, 2002,
p. 39.
52. Les acteurs privés, eux aussi extrêmement nombreux, avec des sièges d'entreprises puissantes
dans le quartier d'affaires de la Défense notamment, peinent à s'organiser collectivement dans
la décennie 2000 et sont très largement absents des débats. La mise en p lace du réseau du
Grand Paris Express à partir de 2011 change singulièrement la donne avec une coordination
accrue des intérêts privés et une mise en visibilité de leur action.
53. Paul KANTOR et al., Struggling giants: city-region governance in London, New York, Paris,
and Tokyo, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2011.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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