Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 154

(Notes pour ne pas conclure)
Problématique
L'opération qui consiste à mettre en relations le droit administratif en particulier
et le droit en général à travers l'hypothèse d'une cassure entre ces deux
expressions du juridique, n'a, il faut en convenir, rien de très original. Pensons,
par exemple, à l'expérience d'un Maurice Hauriou. L'auteur n'avait -il pas envisagé
pour ultime projet - on sait qu'il n'eut pas le temps de le faire aboutir -
la publication d'une « Introduction à l'étude du droit » dans laquelle il voyait
comme le couronnement de toute une vie de juriste universitaire ? L'ensemble
des enseignements sectoriels qu'il avait pu donner devaient trouver là un accomplissement
commun 1. Cet exemple n'a rien perdu de sa pertinence. Il vaut
invitation à évaluer rétrospectivement la perte de sens à laquelle a fatalement
conduit la pratique d'un positivisme technicien que les facultés de droit ont fini
par faire prévaloir, au point d'en faire quelque chose comme la forme institutionnelle,
à la fois évidente et naturelle, de la Nécessité.
La journée pour laquelle a été initialement conçu le présent texte était tout
entière placée sous le signe des impensés du droit administratif. Que faut-il entendre
par cette expression ? Il ne peut évidemment s'agir que d'un impensé
disciplinaire : il existe bien un impensé de la discipline intellectuelle qui s'est
construite autour des mots « droit administratif ». On peut très sommairement
le définir de la manière suivante : l'une des limites que connaît aujourd'hui la
science du droit administratif - telle qu'elle est le plus couramment pratiquée
en doctrine - réside en ceci qu'elle a construit sa propre identité théorique en
abandonnant, volontairement, la réflexion générale sur le droit. C'est là, on s'en
doute, un jugement très général. Il serait tout à fait possible de l'infirmer, en
convoquant tel auteur ou en sollicitant telle étude. Mais il n'est pas abusif
d'affirmer que, dans l'ensemble, les discours constitutifs de ce qu'il est convenu
d'appeler le « droit administratif » ont fini par imposer cette thèse que ce
droit-là se suffit à lui-même, qu'il est en quelque sorte une science du dedans 2.
Précisons, pour prévenir de lourds malentendus , que pareille proposition ne signifie
nullement que le droit administratif ignore(rait) les autres branches du
droit. Son sens est ailleurs, dans le fait de son indifférence à l'ontologie juridique
: il n'estime pas nécessaire, pour se poser, de se référer au droit.
Plan
Il ne sera pas question ici de discuter frontalement du bien-fondé de cette attitude
doctrinale. On la soumettra plutôt à une lecture « oblique » consistant à
en souligner les manques. Il s'agit d'évoquer, si l'on veut, ce que l'on perd à
« faire du droit administratif » loin du droit, sinon sans lui. Cette attitude, dont
1. André HAURIOU, « Les derniers aspects de la pensée du Doyen Maurice Hauriou », dan s La
pensée du Doyen Maurice Hauriou et son influence, Journées Hauriou, Annales de la Facult é
de droit et des sciences économiques de Toulouse, université de Toulouse, 1968, p. 127.
2. Christophe JAMIN, La cuisine du droit. L'École de Droit de Sciences Po : une expérimentation
française, LGDJ/Lextenso, Paris, 2012 [coll. Forum].
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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