Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 160

(Notes pour ne pas conclure)
droit privé comme entre le droit national et le droit supranational. C'est de
l'existence de ces branchements qui sont l'œuvre des traités internationaux
mais aussi des juridictions nationales et supranationales, que dépendent la diffusion
et la circulation des techniques, des dispositifs, aussi bien que des concepts
et des idées. Ainsi une véritable perméabilité peut advenir au sein de
l'espace juridique tout entier.
Ces constats, qui relèvent à présent de l'ordinaire sinon de l'évidence,
n'empêchent nullement, et sans doute du fait même de son histoire institutionnelle,
en France plus qu'ailleurs, la persistance de deux cultures juridiques.
Droit civil et droit administratif composent bel et bien deux réalités qui restent
réfractaires à toute confusion, comme cela vient d'être encore une fois démontré
25. La confrontation méthodique de ces deux réalités montre pourtant que
leur division n'a rien de simple : elles ne cessent d'être pensées l'une par rapport
à l'autre, voire l'une dans l'autre. Elles s'entrecroisent. Elles s'entremêlent.
Car elles ont mutuellement besoin l'une de l'autre : c'est ainsi que le droit
public continue d'être un très utile repoussoir pour les privatistes, ou certains
d'entre eux, qui se reconnaissent volontiers dans le récit de la publicisation ou
de la socialisation de « leur » droit, autant dire du vrai droit. Les traces de ce
récit sont bien visibles dans la littérature académique, et tout spécialement dans
les manuels d'introduction au droit ou à l'étude du droit 26. Quant aux publicistes,
ils n'ignorent pas qu'une attitude analogue prévaut au sein de leur communauté,
dès lors qu'on y fait du droit dit commun, selon les cas, un modèle à
suivre ou à tenir à distance.
Il y a là toute une mécanique intellectuelle dont la réflexion sur le droit applicable
aux relations du travail constitue l'un des exemples les plus édifiants.
Cet exemple n'est évidemment pas pris ici par hasard : l'auteur du présent texte
a eu tout « loisir » de se persuader de sa valeur explicative à travers un cours
donné entre 2000 et 2012 à l'Université de Paris 2 sous le titre Droit des relations
du travail dans le secteur public - notons en passant qu'il serait parfaitement
possible de réfléchir dans le même sens en prenant pour objet le droit de
la concurrence, ou encore le droit de l'environnement, dont les travaux de
François Ost notamment ont montré qu'il participait tout à la fois du droit public
et du droit privé, etc. Le partage institutionnel de cette matière entre le
droit de la fonction publique et le droit du travail ne saurait occulter ce fait juridique
majeur : les rapports de travail forment un ensemble dont la saisie juridique
obéit - et elle le fait de plus en plus - à la logique de l'hybridation ; ici
droit public et droit privé se mêlent dans des proportions aussi variables que
subtiles : la problématique de l'exorbitance semble bien y atteindre ses propres
limites 27. À travers cette expérience juridique sectorielle, il n'est guère difficile
25. Christophe JAMIN et Fabrice MELLERAY, op. cit.
26. Jacques CAILLOSSE, Introduire au droit, 3e éd., Montchrestien, Paris, 1998 [coll.
Clefs/Politique].
27. Christian BESSY, La contractualisation de la relation de travail, LGDJ, Paris, 2007 [coll. Droit
et Société] ; Pierre ESPUGLAS-LABATUT et al. (éd.), Le droit public du travail, Éditions
L'épitoge, Toulouse, 2015.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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