Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 167

Jacques CAILLOSSE
nistratif global 51. Il y a là comme une logique d'encerclement, sinon d'étranglement,
d'un champ disciplinaire dont les perspectives de développement sont
singulièrement contenues. Le droit administratif voit ainsi son agenda largement
dicté du dehors. Ne tend-il pas à se constituer en territoire où s'expérimentent
des formes juridiques qu'il lui faut subir ? Faudra-t-il bientôt ne plus y
voir qu'une science auxiliaire ?
Pareilles interrogations ont certes peu de chances d'être entendues. La lecture
dominante des phénomènes précédemment évoqués invite plutôt à y voir
une situation très favorable au renouvellement et à la modernisation du droit
administratif 52. Encore faudrait-il se demander jusqu'où ce processus de transformation
qui emporte le droit administratif hors de lui-même n'est pas en train
d'emporter, dans le même mouvement, l'objet qu'il traverse dans un tout autre
univers mental ; un monde obéissant à des codes qui sont étrangers à son histoire
et servent des finalités opposées à celles qui étaient initialement les
siennes. On peut donc valablement se demander si ce qui continue d'être appelé
« droit administratif » ne désigne pas un processus intellectuel qui aurait pour
finalité la disparition tendancielle du ...droit administratif ! On serait alors face
à une sorte de crime parfait - pour parler à la manière de Jean Baudrillard 53.
En effet, cette disparition tendancielle serait conçue et conduite par ceux-là
même qui sont en charge de faire vivre et promouvoir la discipline ! Des remarques
qu'on se gardera de considérer comme relevant d'on ne sait quel jeu
spéculatif. Ne sont-elles pas informées par la dynamique des transformations
sociétales en cours ? L'avenir du droit administratif semble bien dépendre de sa
capacité à s'auto-dissoudre, pour se fondre dans cet ensemble juridique flou
d'après le droit administratif que constitue le « droit de l'action publique ».
Cette dernière dénomination permet de prendre en considération le caractère
totalement hybride du système juridique propre à une action publique qui sollicite,
autant que de besoin, acteurs publics et privés, s'appuie sur les ressources
du droit comme sur celles du management, « branche » le vieux droit administratif
sur les exigences contemporaines de l'économie néo-libérale. Et, s'il nous
est encore loisible d'affirmer que ce droit-là n'a pas disparu, il est bel et bien
emporté, par le mouvement même d'une action publique obéissant aux codes
du new public management, loin de son territoire mental originaire. Il n'est pas
faux de louer ses capacités de résilience. Ses mots continuent même de structurer
ce qu'on pourrait appeler une sorte de parler administratif à la française.
Mais, si les grands signifiants demeurent (les « intérêt général », « service public
», « propriété publique », « fonction publique », etc.) , les territoires qu'ils
balisent, qu'ils soient matériels ou symboliques, se sont irrémédiablement déplacés.
Ils ont été reconfigurés pour soutenir des causes nouvelles : celles d'une
51. RFDA, Actes du colloque La globalisation du droit administratif, n° 5 et 6 /2019 ; Jacques
CAILLOSSE, « Éléments de conclusion. À propos du " droit administratif global " », dans
GONOD Pascale et ASCENSIO Hervé (éd.), op. cit.
52. Christophe JAMIN et Fabrice MELLERAY, op. cit.
53. Jean BAUDRILLARD, Le crime parfait, Éditions Galilée, Paris, 1994.
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Recherches et travaux, vol. 35/2022

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