Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 172

Postface
que soit l'institution, on ne trouvera dans son œuvre nulle trace de déférence, de
commentaires élogieux de la jurisprudence, de la dernière réforme du gouvernement.
Tout autant de précautions sont prises pour que n'y apparaisse le
moindre propos dépréciateur sur l'évolution du droit 14. Sans doute n'en penset-il
pas moins parfois. Reste que son attitude scientifique est la plupart du temps
exempte de tout jugement 15, de toute « démarche technologique » au sens que
Paul Amselek donne à cette expression 16 ; cette attitude est, on peut le dire,
d'une scientificité authentique 17.
Rien de comparable non plus en ce que Le Nôtre s'est attaché, au travers
des règles de la géométrie, à enserrer, enfermer la nature dans un système verrouillé
à double tour 18
. C'est l'ordre royal qui veut cela. Notre savant, de son
côté, ne fait évidemment pas abstraction de la logique formelle sans laquelle le
droit perd sa dynamique. Mais sa réflexion est davantage ouverte aux conditions
sociales de sa production, de sa réflexion, ainsi qu'aux pratiques auxquelles
il donne lieu 19
. Et ce encore plus lorsqu'il s'agit pour lui de resserrer la
sés de la doxa - qu'il met en cause. La parole critique trouve là sa force comme sa faiblesse :
elle cherche à se faire entendre des institutions qu'elle prétend déconstruire » (Jacques
CAILLOSSE, L'État du droit administratif, LGDJ, Paris, 2015, p. 24).
14. Entre autres, l'article « Personnes publiques et concurrence : quels enjeux théoriques ? »
(Jacques CAILLOSSE, dans AJDA, 2016, p. 761) apparaît de ce point de vue tout à fait significatif
tant l'auteur s'attache à préciser à de multiples reprises que son regard vis-à-vis de
l'immixtion des principes de la concurrence dans le secteur public se veut parfaitement neutre
- l'objet de sa démonstration est d'ailleurs tout autre mais il souhaite prévenir tout malentendu
- : « Dès lors que l'on veut se tenir à l'écart du registre du jugement - celui que l'on emprunte
pour afficher approbation ou désapprobation d'un fait de droit avéré - [...] » ; « Le jugemen t
approbateur porté sur cette transformation n'est pas, même ici, notre problème » ; « la mise en
doute de ce constat n'est nullement destinée à servir la thèse aberrante selon laquelle le dro it
administratif devrait être pratiqué et pensé dans l'indifférence aux préoccupations économi -
ques » ; « L'exercice n'est pas commandé par une quelconque nostalgie de ce qu'a pu êt re le
droit administratif préalablement à sa surdétermination économique » ; « Répétons-le, ce n'est
pas en tant que telle la soumission des personnes publiques au droit de la concurrence qui est
matière à discussion ».
15. Bien sûr, il est toujours possible de mettre la main sur quelques articles « engagés », mais l'on
ne peut qu'être frappé par le souci d'objectivation scientifique, de problématisation de l'objet
qui prime très largement sur les prises de position de l'auteur (v. à titre d'exemple, Jacques
CAILLOSSE, « Plaidoyer pour le domaine public maritime naturel », dans Revue juridique de
l'environnement, 1990, p. 483).
16. Paul AMSELEK, « La part de la science dans les activités des juristes », dans D. 1997, Ch ron.
p. 337.
17. Sur ce point, voir Jacques CHEVALLIER, « Libres propos sur la démarche scientifique », dan s
Études en l'honneur du Professeur Jean-Arnaud Mazères, LexisNexis, Paris, 2009, p. 131.
18. Mais il est vrai que le jardin à la française mérite aussi d'être lu au-delà de ses seules apparences
(Erik ORSENNA, op. cit., p. 47).
19. Voici, entre autres, ce qu'il précise dans son introduction générale à L'État du droit administratif
(op. cit., p. 22-23) : « Adopter un point de vue critique, c'est faire entrer dans le champ
assigné au droit administratif des questions délaissées, la plupart du temps, par les juristes de
doctrine [...]. Il en va ainsi pour tout ce qui concerne les interrogations relatives tant aux conditions
d'élaboration des normes qu'à leurs effets sociaux [...]. Rien d'ailleurs dans cette
orientation n'appelle à prendre congé de la technologie du droit administ ratif [...]. Aut re
chose est de réduire ce droit à cette technologie, et d'ignorer que ceux qui en font usage pour
agir sur l'environnement mobilisent images, fictions, récits et autres représentations ».
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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