Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 173

Karl-Henri VOIZARD
focale sur le lieu où s'élaborent en premier « les cadres mentaux du droit administratif
» 20
lant que « l'institution juridictionnelle a une réalité politique et économique en
même temps qu'une valeur juridique, et il est souverainement étroit de ne la
définir que par les rapports qu'elle soutient avec le droit, car ceux qu'elle soutient
avec les besoins sociaux fondamentaux sont autrement importants » 21.
Tandis que je continue de m'interroger sur les raisons pour lesquelles mon
inconscient avait établi cette étonnante association entre le jardinier et le savant,
il me vient soudain l'idée que le travail de domestication entrepris par le
premier pourrait bien constituer la métaphore d'une thèse chère au second : si
ces arbustes taillés, ces jets d'eau synchronisés, ces longues allées de terre
aplanie parvenaient aussi bien à sublimer le pouvoir, à le légitimer, c'est peutêtre
en raison de la pureté initiale de ces matériaux, de leur parfaite indifférence
« naturelle » - si j'ose dire - à l'égard des hommes et de la politique. Le droit
administratif de son côté, en ayant l'apparence de la neutralité politique du fait
de ses atours techniques, ne représente-t-il pas un instrument de légitimation du
pouvoir parmi les plus efficaces ? 22.
Mais alors que je me perds dans mes songes, erreur fatale, voilà que la silhouette
se dérobe à mes yeux. Pire encore, l'eau des bassins déborde, m'entraîne
puis m'emporte dans un autre contexte.
Scène 2 : Le jardin impressionniste
Nous voici transportés en Normandie, dans l'Eure pour être plus précis. Audessus
de nos têtes, grives, merles et linottes chantent les couleurs du printemps
sur fond d'un air de flûte ; un extrait d'une partition de Debussy subtilisée par
le souffle du Zéphyr. Le cadre dans lequel nous baignons se compose d'une vé20.
Cette formule est tirée des actes d'un colloque qui fut dirigé par Jacques CAILLOSSE et
OLIVIER RENAUDIE et se tint au Conseil d'État et à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas en février
2014 (Jacques CAILLOSSE, « Dits et non-dits d'un colloque », dans Jacques CAILLOSSE et
Olivier RENAUDIE (éd.), Le Conseil d'État et l'Université, Dalloz, Paris, 2014, p. 19). Le programme
de la manifestation illustrait parfaitement notre propos : la « fonction universitaire »
du Conseil d'État qu'il s'agit d'explorer « se construit autour d'un dispositif comp lexe dan s
lequel interviennent des activités multiples [qui] n'intéressent pas uniquement la production et
la mise en œuvre ou encore la didactique et la mise en ordre du droit administratif, elles concernent
jusqu'aux conditions administratives dans lesquelles ces opérations s' effectuen t »
(ibid., p. 21), l'ultime finalité du colloque consistant à « questionner les conditions dan s lesquelles
se fait et se pense actuellement le droit administratif » (ibid., p. 32).
21. Maurice HAURIOU, « Les éléments du contentieux », dans Recueil de l'Académie de législation
de Toulouse, 1905, p. 11.
22. L'auteur de la thèse va plus loin lorsqu'il précise qu'« au fond, pour que puisse se réaliser
l'idéal d'État modéré pour lequel est conçue la séparation des pouvoirs, il faut parvenir à neutraliser
une part du gouvernement de la cité. Ainsi apparaît l'administration face au politique :
elle est, si l'on veut, le gouvernement vidé de sa substance politique ! » (Jacques CAILLOSSE ,
L'État du droit administratif, op. cit., p. 40). Voir également Jacques CAILLOSSE, « Sur les enjeux
idéologiques et politiques du droit administratif. Aperçus du problème à la lumière du
" changement " », dans Rev. adm., 1982, p. 361.
. L'on pourrait presque faire siens les mots du Doyen Hauriou rappe173
Recherches
et travaux, vol. 35/2022

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