Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 174

Postface
gétation riche et abondante : foisonnement de glycines, bruyères, iris, bambous,
érables, arbres de Judée, saules pleureurs de Babylone... ces saules qui trempent
leurs branches dans l'eau frémissante d'un étang silencieux ; un étang aussi
minuscule par sa taille que grand par sa splendeur.
Un pont aux courbes japonisantes enjambe ce plan d'eau rendu possible par
le détournement de la rivière de l'Epte. Sa surface est parsemée de plantes
aquatiques autrement nommées nymphéas ; leurs fleurs viennent tout juste de
poindre entre les feuilles. Ce paysage hydrique dans lequel se reflètent feuillages,
branches, bourgeons penchés au-dessus de l'eau renvoie à des teintes de
couleur d'une infinie diversité.
C'est là, à Giverny, que Monet décida d'établir ses quartiers : à l'écart de
l'agitation de Paris où il lui arrivait tout de même de se rendre encore ; suffisamment
entouré des composants telluriques pour que les pulsations de la terre
vibrent au cœur de sa chair.
Saut dans le temps. Nous voilà brusquement propulsés au lendemain de
l'armistice du 11 novembre et le chef de file de l'impressionnisme écrit à son
ami Clemenceau. Il lui fait part de son intention d'offrir deux de ses panneaux
décoratifs pour célébrer la victoire, la paix, la reprise de la beauté. Au bout du
compte, il offrira à la France et au musée de l'Orangerie huit compositions de
ses Nymphéas.
L'on retrouve notre promeneur dans ce nouveau jardin. Il est appuyé sur le
rebord du pont japonais. Savoir endurer les critiques, résister aux forces conservatrices,
cultiver la résilience, voilà bien quelque chose qu'ils ont en commun,
lui et le peintre. Pour l'anecdote, l'écrivain Huysmans considérait à propos
des impressionnistes qu'ils « pouvaient confirmer les expériences du Dr
Charcot sur les altérations dans la perception des couleurs qu'il a notées chez
beaucoup d'hystériques de la Salpêtrière et sur nombre de gens atteints de maladies
du système nerveux » 23. Voilà qui ferait sourire n'importe qui aujourd'hui
!
Les plumes avec lesquelles on se bat de nos jours dans les arènes scientifiques
sont sans doute un peu plus arrondies en leur pointe 24 ; elles n'en sont
pas moins excessivement violentes parfois. Qu'importe pour notre chercheur,
qui semble en avoir pris son parti depuis longtemps. Il a développé une « heuristique
de combat » 25 qui lui permet de creuser sa pensée obs tinément, de ne
jamais céder face aux controverses superficielles. Lors de sa première année au
Collège de France en 1982, Pierre Bourdieu insistait en ce sens : l'activité de
23. Cité par Gustave GEFFROY dans Claude Monet. Sa vie, son œuvre, Éditions Macula, Par is,
1980, p. 165. Huysmans finira malgré tout par accoutumer ses yeux à cette nouvelle façon de
peindre, comme le montre son compte rendu de l'Exposition des Indépendants de 1881 ( ibid.,
p. 166-167).
24. Voir à titre d'exemple l'échange entre Pierre BRUNET et Jacques CAILLOSSE dan s la revue
Droit et Société (1995, 29, p. 215) à propos de l'ouvrage Introduire au droit (Jacques
CAILLOSSE, Montchrestien, Paris, 1993 [coll. Clefs/Politique]).
25. Voir tout particulièrement Jacques CAILLOSSE, « À propos de doctrine en droit administratif »,
dans AJDA, 2012, p. 1616.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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