Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 178

Postface
paraître de l'État qu'il constitue un point d'observation idéal pour la compréhension
de son identité - ce que résume parfaitement le titre de son ouvrage
L'État du droit administratif 43. Le droit administratif émane de l'État en même
temps qu'il participe de sa fondation. Et il appartient au chercheur d'analyser
les griffes, les marques que ce droit laisse sur le tissu social pour induire la ou
les conceptions de l'État à un moment « t » tout autant que soulever les assauts
disruptifs dont il est l'objet.
Mais là où « l'art brut » prôné par Dubuffet conduit ce dernier à faire table
rase des expressions culturelles consacrées 44, notre chercheur, à l'inverse,
s'accommode parfaitement des entreprises doctrinales qui prennent des appuis
différents des siens. Sa démarche est une parmi d'autres, et il ne prétend pas
que la sienne soit la meilleure ou qu'elle doive s'imposer 45. Simplement, son
credo est que d'autres chemins que ceux empruntés par la doctrine dominante
sont possibles. Mieux, il rassemble - j'allais dire réconcilie - dans le même giron
des auteurs que les partages doctrinaux traditionnels opposent 46 : entre
autres Bourdieu, Vedel, Althusser, Hayek, Derrida, Hauriou, Muller, Kelsen et
bien sûr Legendre. Et ses écrits, quels qu'ils soient, avec plus ou moins
d'intensité selon le cas, sont autant d'invitations à ne pas oublier que le droit est
et restera toujours une science sociale 47.
L'historien Patrick Boucheron rappelait dans l'un de ses cours au Collège
de France 48 la fameuse expression utilisée pour désigner la fermeture d'un
chantier de recherche par les archéologues « ménageant la possibilité que
d'autres puissent le reprendre » ultérieurement : on dit qu'ils le « referment
43. Op. cit. Voir en particulier p. 36-38.
44. Gaëtan PICON, op. cit., p. 186 et s.
45. Comme il le dit lui-même à l'issue de son étude sur L'État du droit administratif, « la volonté,
exprimée tout au long du présent ouvrage, d'affirmer une démarche autonome ne s' énonce
surtout pas dans l'indifférence aux modèles intellectuels auxquels adhère la doctrine qualifiée
ici de " majoritaire " ou de " dominante " » (Jacques CAILLOSSE, op. cit., p. 298). I l reconnaît
ailleurs que les conclusions auxquelles le conduisent ses analyses sont, autant que celles des
autres chercheurs, « le résultat d'une construction subjective », leur exposé n' invalidant en
rien « l'affirmation de thèses concurrentes auxquelles l'état des lieux juridique paraît donner
une justification autre certes mais équivalente ». Il nous rappelle alors l'importance de ne jamais
laisser mourir le feu des divergences doctrinales : « c'est sur l'existence même de cet te
marge, nécessaire, d'incertitude juridique, que le débat doctrinal gagnerait à s'organiser »
(Jacques CAILLOSSE, « Personnes publiques et concurrence : quels enjeux théoriques ? », art.
précit.).
46. L'auteur s'en explique, au moins à propos des membres de la doctrine juridique : « on peut en
être sûr, avec chacun d'entre eux, c'est à chaque fois un paysage nouveau qui se découvre. I l
ne saurait donc être question de les utiliser comme s'ils formaient un tout, librement et indifféremment
fréquentable. Mais ils doivent se lire comme autant de repères offerts par la car to -
graphie doctrinale à ceux qui sont en recherche d'un it inéraire théorique » (L'État du dro it
administratif, op. cit., p. 22). Pour la défense d'un opportunisme scientifique analogue, voir
Pierre BOURDIEU, Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Seuil, Paris, 1992.
47. C'est à l'évidence l'argument de l'ouvrage Introduire au droit (op. cit.), dont l'intitulé même
traduit le pas de côté effectué vis-à-vis des manuels classiques d'introduction au droit.
48. « Pourquoi les médiévistes ? », dans Cours au Collège de France, Les inventions du po litique
: expérimentations médiévales, 8 janvier 2019.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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