Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 24

Les territoires impensés du droit adminstratif
tresses du droit administratif français, derrière lesquelles on peut intuitivement
imaginer que se cache le rapport des moyens aux fins : la dialectique du service
public et de la puissance publique et le principe de proportionnalité.
I. L'impensé de la dialectique du service public et de la
puissance publique
La dialectique du service public et de la puissance publique constitue l'une
des premières manifestations de ce déroutant impensé qui n'en est pas totalement
un.
Nul n'ignore, en droit administratif français, la place centrale occupée par la
dialectique du service public et de la puissance publique. Elle y constitue la distinction
cardinale, celle qui structure durablement cette discipline juridique,
celle qui résume à elle seule une matière tout entière, sur le plan tant pratique
que doctrinal. Sur le plan pratique, on sait que, depuis le début du XXe siècle, le
Conseil d'État détermine fondamentalement la compétence de la juridiction
administrative française au moyen de la combinaison de ces deux critères . Il lui
arrive parfois même de disserter explicitement pour dire que « les personnes
publiques sont chargées d'assurer les activités nécessaires à la réalisation des
missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de
prérogatives de puissance publique 2 ». Plus techniquement, à défaut de textes
attributifs de compétence, mais par interprétation de la loi des 16-24 août 1790,
le Conseil d'État considère que la juridiction administrative française, spécialisée
et distincte de l'autorité judiciaire, n'est pas compétente à l'égard de tous
les litiges impliquant l'Administration, mais ne l'est en réalité qu'à l'égard des
actes et des comportements des personnes publiques ou privées agissant dans le
cadre de la réalisation des missions de service qui leur sont dévolues au moyen
de l'usage de procédés exorbitants de puissance publique. En pratique, cette
règle générale de compétence est naturellement sujette à nuances et exceptions
3, mais peu importe ici pour notre propos, cette ligne directrice de compé2.
CE, ass., 31 mai 2006, n° 275531, Ordre des avocats au Barreau de Paris, Rec. CE, 2006 ,
p. 272, concl. D. CASAS ; AJDA, 2006, p. 1592, chron. C. LANDAIS et F. LENICA ; BJCP, 2006,
p. 295, concl. ; Contrats-Marchés publ., 2006, comm. 202, note G. ECKERT ; Dr. adm., 2006,
comm. 129, note M. BAZEX ; JCP A, 2006, 1133, note F. LINDITCH ; JCP G , 2006 , I I , 170,
chron. B. PLESSIX ; RFDA, 2006, p. 1048, concl.
3. Un exemple fameux de nuance : la détermination exacte de la compétence de la jur idict ion
administrative à l'égard des actes et comportements de personnes privées participant à l'action
administrative, avec une alternative à deux branches dont la seconde fait l'économie du critère
de la puissance publique : « Considérant qu'indépendamment des cas dans lesquels le légis -
lateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public,
une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l' admin istration
et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de
l'exécution d'un service public ; que, même en l'absence de telles prérogatives, une personne
privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de
service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création,
de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainRecherches
et travaux, vol. 35/2022
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