Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 33

Benoît PLESSIX
subtile répartition des compétences entre la juridiction administrative et
l'autorité judiciaire.
II. L'impensé du principe de proportionnalité
Voici comment la doctrine de droit allemand, berceau du principe, présente
la proportionnalité au sens juridique du terme : « Le principe de proportionnalité,
qui s'applique avant tout lors de l'émission d'actes administratifs imposant
une charge ou une sujétion, mais également de façon générale en dehors de ce
domaine, se réfère au rapport entre le but et les moyens. Une mesure qui est
mise en œuvre en vue d'atteindre un but (ou un résultat) déterminé doit obligatoirement
être conforme à une certaine proportionnalité au sens large du terme,
c'est-à-dire qu'elle doit être appropriée, nécessaire, et demeurer dans de justes
proportions par rapport à son but [...]. Le principe de proportionnalité au sens
large découle du principe de l'État de droit et doit toujours être respecté [...]. Il
est appliqué de façon tout à fait générale pour déterminer les limites des droits
fondamentaux, notamment en tant qu'impératif imposant une appréciation du
poids respectif du droit de l'individu à une liberté et celui de l'intérêt public à
une limitation affectant cette liberté 37 ».
Une telle présentation juridique fait immédiatement songer au rapport philosophique
entre les fins et les moyens. En réalité, sans doute par influence aristotélicienne,
ce que les juristes épris du juste milieu désignent par le terme de
proportionnalité, ce n'est point, comme en mathématiques ou en architecture, la
relation entre des quantités ou des grandeurs équivalentes, mais, tout simplement,
ce que la philosophie morale et politique analyse sous l'angle du rapport
de préséance entre les fins visées et les moyens employés dans toute action humaine.
Dès lors, dans l'art juridique, parler de proportionnalité, c'est bien parler
des fins et des moyens.
Mais c'est en parler d'une certaine manière, dans un contexte idéologique et
politique bien précis. Même s'il est apparu en 1882 dans la jurisprudence de la
Cour administrative suprême de Prusse, et fut initialement cantonné aux seules
mesures de police administrative 38, le principe de proportionnalité a pris sa signification
juridique moderne avec l'avènement de l'État de droit et la promotion
des droits fondamentaux. Il est en effet inséparable d'un tel contexte et apparaît
donc comme un principe constitutionnel, s'appliquant à tous les pouvoirs
publics constitués (le pouvoir législatif comme les autres), véhiculant une certaine
philosophie des rapports entre le Pouvoir et les individus ; il est « essentiellement
un principe de modération du pouvoir : l'autorité publique, qu'elle
soit législative ou administrative, doit respecter au mieux les droits des per37.
Hartmut Maurer, cité par M. FROMONT, « Le principe de proportionnalité » , art. précit. ,
p. 157.
38. Cour administrative suprême de Prusse, 14 juin 1882, Kreuzberg, cité par Jürgen SCHWARZE,
Droit administratif européen, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 731.
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Recherches et travaux, vol. 35/2022

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