Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 39

Benoît PLESSIX
ait adopté un article préliminaire L. 100-2 rédigé de manière significative :
« L'administration agit dans l'intérêt général et respecte le principe de légalité.
Elle est tenue à l'obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité.
Elle se conforme au principe d'égalité et garantit à chacun un traitement impartial
». Nulle mention n'est faite de la proportionnalité, alors que dans nombre
de textes étrangers similaires elle est visée au même titre que les principes directeurs
de légalité, de transparence, d'impartialité ou d'égalité. Cette lacune
n'a évidemment rien de fortuit. Elle tient à ce que, en droit français, à l'image
du contrôle de légalité des mesures de police administrative dont on vient de
parler, la proportionnalité ne recouvre par un concept de fond, une directive
comportementale substantielle, mais désigne seulement un mécanisme contentieux,
un standard de contrôle entre les mains du juge, de sorte qu'il est plus
exact de parler de contrôle de proportionnalité que de principe de proportionnalité.
La meilleure preuve en est que les progrès récents de la jurisprudence n'ont
pas consisté à approfondir l'exigence de préséance des fins sur les moyens ,
mais seulement à perfectionner le contrôle du juge, jouant sur toute la gamme
allant du contrôle minimum au contrôle maximum en passant par le contrôle
restreint de l'erreur manifeste d'appréciation, comme en témoigne de manière
exemplaire sa jurisprudence en matière de contrôle de la légalité des sanctions
disciplinaires, dont les progrès - incontestables - ne touchent qu'au degré du
contrôle du juge (contrôle normal et non plus restreint) 58 ou à l'étendue des
sanctions auxquelles il s'applique (disciplinaires, professionnelles, économiques)
59. Et encore cet exemple est-il rassurant, révélant que le juge administratif
contrôle au moins l'adaptation et la nécessité d'actes administratifs de
plus en plus divers. Car il peut arriver que la proportionnalité, qui n'est donc
jamais un principe de fond, ne soit pas même un véritable outil de contrôle,
faute pour le juge de l'exercer réellement. Comme certains ont pu l'observer, la
jurisprudence constitutionnelle offre ainsi des cas d'utilisation purement cosmétique
de la proportionnalité, n'en faisant qu'une coquille vide de sens et de
portée, sous prétexte que, selon la formule rituelle, le Conseil constitutionnel
n'est pas doté d'un pouvoir d'appréciation de même nature que celui du Parlement.
Par exemple, la brièveté de la motivation de la décis ion du Conseil constitutionnel
de 2010, statuant sur la constitutionnalité de la loi interdisant la dissimulation
du visage dans l'espace public, trahit en réalité l'absence de tout vé58.
CE, 27 nov. 1996, n° 170208, Ligue islamique du Nord, Rec. CE, 1996, p. 461 ; JCP G, 1997, II,
22808, note B. SEILLER.
59. Par exemple, application aux sanctions à l'égard des professions règlementées ( CE, sect. ,
22 juin 2007, n° 272650, Arfi, Rec. CE, 2007, p. 263 ; Dr. adm., 2007, comm. 145 , no te
F. MELLERAY ; RFDA, 1997, p. 1199, concl. M. GUYOMAR), des agen ts publics ( CE , ass. ,
13 nov. 2013, n° 347704, Dahan, Rec. CE, 2013, p. 279 ; AJDA, 2013, p. 2432, chron.
A. BRETONNEAU et J. LASSI ; Dr. adm., 2014, comm. 11, note A. DURANTHON ; JCP A, 2014,
2093, note D. JEAN-PIERRE, 2241, note D. BAILLEUL ; JCP G, 2014, 149, note C. VAUTROTSCHWARTZ
; RFDA, 2013, p. 1175, concl. R. KELLER) ou des détenus (CE, 1er juin 2015,
n° 380449, Boromée, Rec. CE, 2015, p. 185, concl. A. BRETONNEAU ; AJDA, 2015, p. 1596 ,
concl. ; Dr. adm., 2015, comm. 68, note G. EVEILLARD ; JCP A, 2015, 2284, note V. VIOUJAS ;
RFDA, 2016, p. 1212, note D. POLLET-PANOUSSIS).
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Recherches et travaux, vol. 35/2022
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