Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 40

Les territoires impensés du droit adminstratif
ritable contrôle de proportionnalité, le juge constitutionnel se content ant
d'affirmer aussi brièvement que péremptoirement que, « eu égard aux objectifs
qu'il s'est assignés et compte tenu de la nature de la peine instituée en cas de
méconnaissance de la règle fixée par lui, le législateur a adopté des dispositions
qui assurent, entre la sauvegarde de l'ordre public et la garantie des droits constitutionnellement
protégés, une conciliation qui n'est pas manifestement disproportionnée
», sans démontrer un seul instant en quoi cette incrimination pénale
était parfaitement proportionnée aux fins visées par le législateur (sécurité
publique, défense des exigences minimales de vie en société et des droits des
femmes) 60. La même imperatoria brevitas a été utilisée dans une décision de
2019 relative aux dispositions du Code pénal prévoyant l'incrimination des personnes
recourant aux services de prostitution 61. Alors même que le juge constitutionnel
a très exactement identifié les fins poursuivies en l'espèce par le législateur,
qui ne consistait nullement à interdire l'activité de pros titution, mais
seulement à priver le proxénétisme et la traite d'êtres humains de sources de
profit, il a rapidement jugé l'incrimination pénale conforme à la Constitution
sans s'être demandé si le moyen employé (l'incrimination pénale de tout client)
était le plus adapté, le plus nécessaire, le plus proportionné aux fins visées. Ce
faisant, comme Patrick Wachsmann a pu l'écrire avec pertinence, le contrôle du
juge constitutionnel français « consiste, en réalité, à résumer les raisons qui ont
conduit le Parlement à décider comme il l'a fait et à indiquer que les mesures
prises par lui ne sont entachées d'aucune disproportion manifeste au regard des
objectifs visés. [...] Le contrôle de proportionnalité est réduit à une formule
magique, l'examen du dispositif mis en cause et même de la logique sur laquelle
il repose est à peine effleuré [...]. Peut-on encore s'accommoder
d'approximations proférées d'un ton dogmatique, d'absence de réponse aux
démonstrations déployées à la barre du Conseil, de formules empruntées à de
hautes juridictions, françaises et étrangères, mais ici vidées de toute substance
et de toute effectivité ? 62 » Et Patrick Wachsmann de conclure : « De
l'admission de " politiques publiques " de plus en plus discrétionnairement décidées
par le législateur à la fixation de l'intensité du contrôle de proportionnalité
à un niveau de plus en plus bas et qui tend vers zéro, que reste-t-il vraiment du
contrôle de constitutionnalité des lois dans le domaine des libertés publiques
? 63 »
Il ne s'agit pas ici pour nous de dire si une telle politique jurisprudentielle
est une bonne ou une mauvaise chose, si le juge français a raison ou tort de sta60.
Cons. const., 7 oct. 2010, n° 2010-613 DC, Loi interdisant la dissimulation du visage dans
l'espace public, Rec. Cons. const., 2010, p. 276 ; AJDA, 2010, p. 2373, note M. VERP EAUX ;
D. 2011, p. 1166, note O. CAYLA ; JCP G, 2010, 1018, note B. MATH IEU et 1043, note
A. LEVADE ; RFD const., 2011, p. 548, note M. FATIN-ROUGE STEFANINI et X. PHILIPPE.
61. Cons. const., 1er févr. 2019, n° 2018-761 QPC, Associations Médecins du Monde et au tres,
Rec. Cons. const., 2019, à paraître ; AJDA, 2019, p. 919, note E. BUGE ; LPA, 14 juin 2019 ,
n° 119, p. 18.
62. P. WACHSMANN, billet sur le Blog de Jus Politicum, 21 févr. 2019 (blog.juspoliticum.com).
63. Ibid.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
40
http://blog.juspoliticum.com
Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif
