Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 41

Benoît PLESSIX
tuer différemment de ses homologues étrangers (après tout, peut -être ou pourquoi
pas), encore moins de se faire le défenseur intransigeant des libertés personnelles
de cacher ou d'utiliser son corps comme on l'entend. Il s'agit seulement
ici de donner des exemples pour prendre conscience de ce que la règle de
l'adéquation des moyens aux fins demeure bien en droit public français un impensé,
en dépit des apparences. Car que nous enseignent tous ces exemples tirés
de la jurisprudence administrative et constitutionnelle ? D'une part, que le juge
français ne pratique pas un véritable contrôle de proportionnalité entre les
moyens employés et les fins visées, quand bien même il utiliserait le mot ou
afficherait sa conversion au « triple test de proportionnalité », se bornant bien
davantage, au mieux à un contrôle de nécessité, au pire à un contrôle restreint
de l'erreur manifeste d'appréciation. Et d'autre part que, faute pour la jurisprudence
d'alimenter la réflexion doctrinale, celle-ci continue donc de ne pas penser
la traduction juridique du rapport philosophique des fins et des moyens, de
ne pas en faire un principe directeur du droit public français, s'évertuant à essayer
de suivre au plus près les méandres jurisprudentiels d'une technique de
contrôle du juge.
C'est pourquoi, même en 2022, la règle de l'adéquation des moyens aux
fins demeure un impensé de la réflexion sur le principe juridique de proportionnalité.
Mais, s'il s'agit ici d'un impensé, c'est parce que l'exigence de proportionnalité
reste fondamentalement extérieure à l'esprit du droit public français,
profondément étrangère à la culture juridictionnelle nationale. De ce point
de vue, constitue une illustration exemplaire le discours de l'ancien viceprésident
du Conseil d'État, M. Jean-Marc Sauvé, discourant en 2017 devant
l'Institut Portalis d'Aix-en-Provence sur « le principe de proportionnalité, protecteur
des libertés ». Après avoir évoqué tous les progrès accomplis à
l'étranger ou en droit européen, l'ancien vice-président concluait ainsi son propos
: le principe de proportionnalité « ne saurait se traduire par une remise en
cause du principe même de la séparation des pouvoirs et du pouvoir
d'appréciation des Gouvernements et des Parlements. Le principe de proportionnalité
est indispensable à la garantie de l'État de droit, mais il ne saurait
conduire à méconnaître les intérêts généraux dont l'État et les collectivités publiques
ont la charge et qui sont, avec les libertés et les droits fondamentaux,
les piliers du vivre-ensemble. Il est important de souligner que les cours européennes
ont procédé, ces toutes dernières années, à une mise en balance plus
attentive et prudente de l'ensemble de ces exigences. C'est une évolution qui
mérite d'être à la fois saluée et confirmée » 64. Phrase qui en dit long sur l'état
d'esprit de nos juges, donc sur l'état d'esprit du droit public français, dont la
connaissance est indispensable à qui veut comprendre le contexte idéologique
et politique dans lequel des idées juridiques émergent ou non, des concepts se
développent plus ou moins. En l'espèce, il ne faut jamais perdre de vue que le
droit allemand part du point de vue primordial des droits fondamentaux des
64. Sur la page .
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Recherches
et travaux, vol. 35/2022
https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-pr
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