Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 44

Les territoires impensés du droit adminstratif
forme de la justice administrative a accru le « large potentiel d'influence » 5 du
Conseil d'État, par le gain de légitimité qui en est résulté, et en raison de la mutation
du rôle juridictionnel du Conseil d'État, qui, par la magie de la question
prioritaire de constitutionnalité, exerce désormais comme juge constitutionnel,
certes « partiel mais de droit commun » 6. La fonction consultative et ses conditions
d'accomplissement ont été elles aus si rénovées : séparation organique
plus nette entre les fonctions du Conseil qui contribuent à la progression de son
indépendance et de son impartialité, évolution vers un conseil au Parlement,
publicité des avis, etc. Dans cette fonction, le Conseil d'État paraît cependant de
plus en plus concurrencé, notamment par le développement du recours, par
l'État, aux conseils extérieurs 7. Il y aurait beaucoup à dire sur cette question,
d'autant qu'elle n'est pas sans lien avec un autre phénomène, celui du départ
des membres du Conseil d'État dans le secteur privé, et notamment dans les cabinets
d'affaires.
Deux manifestations du changement - qui ne changerait donc rien - ont
spécialement fait l'objet d'attentions, autant dans la cité, sur la scène publique
donc, que dans le monde académique, ce qui explique qu'elles présentent, me
semble-t-il, et de ce point de vue, un relief particulier. Il s'agit de la réforme de
la justice administrative et du pantouflage des membres du Conseil d'État. C'est
aussi à partir des missions traditionnelles du Conseil d'État et des participations
extérieures des membres du Conseil d'État que peuvent être formulées quelques
observations relatives au Conseil d'État hors le Conseil d'État, parce que ces
deux approches paraissent révélatrices des éléments de reconquête par le Conseil
d'État de son influence sur la marche des affaires publiques et des modalités
de sa présence hors le Conseil d'État 8.
Ces questions ont été un objet d'échanges réguliers avec celui à qui le présent
livre rend hommage, dont il ressortait bien souvent l'idée qu'elles placent
ceux qui s'intéressent à la chose administrative face à l'entretien d'une certaine
ambiguïté à l'endroit de cette institution. Cette circonstance justifiait déjà qu'on
s'y arrête ici ; s'y ajoute le fait que nous restons bien souvent, me semble-t-il,
au milieu du gué (ou coincés dans nos croyances...). Il y a certes là un territoire
qui n'est assurément pas totalement « impensé », et, jugeront certains, tout au
contraire labouré sans relâche par les juristes. Pourtant, il existe un contraste
entre, d'un côté, le renforcement institutionnel de la puissance du Conseil
d'État au sein de la juridiction administrative, entouré par une curieuse discrétion
alors qu'il accuse son ascendant sur le monde extérieur, et, d'un autre côté,
l'intérêt certain porté aux modalités nouvelles par lesquelles le Conseil d'État
travaille au maintien de son empire dans la sphère de la décision publique.
5. Marie-Christine KESSLER, op.cit., p.314.
6. Agnès ROBLOT-TROIZIER, « Le non-renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité par
le Conseil d'État. Vers la mutation du Conseil d'État en un juge de la constitut ionnalité des
lois », dans RFDA, 2011, p. 691.
7. Voir notamment le rapport de la Cour des comptes, Le recours par l'État aux conseils extérieurs,
novembre 2014.
8. Et même si le sujet ne s'y arrête certainement pas.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
44

Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif