Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 46

Les territoires impensés du droit adminstratif
B
De plus, l'approfondissement de « l'indépendance et de l'impartialité » lié à
la réforme de la justice administrative ne semble guère faire grand débat, même
si la persistance d'un « soupçon de complaisance » continue d'être soulignée,
comme en témoigne encore la controverse à laquelle ont été convoqués par
l'Association française pour la recherche en droit administratif le président
Jean-Marc Sauvé et la professeure Danièle Lochak, à propos du « juge administratif,
protecteur des libertés » 10. L'approche de l'indépendance et de
l'impartialité du Conseil d'État ignore une question qui manifestement
n'intéresse plus personne, au point d'avoir échappé à l'effort de séparation organique
des fonctions juridictionnelles et consultatives réalisé s ous la pression
de la Cour européenne spécialement par le décret du 6 mars 2008 11. Ce texte
prévoit ainsi, pour rappel, non seulement que « les membres du Conseil d'État
ne peuvent participer au jugement des recours dirigés contre les décisions qui
ont été préparées par les sections auxquelles ils appartiennent s'ils ont pris part
à la délibération », mais plus encore, que dans les hypothèses où le Conseil est
saisi d'un recours contre un acte pris après l'avis d'une de ses formations, le
requérant qui en fait la demande peut obtenir communication de la liste des
membres ayant pris part à la délibération de cet avis 12. En effet, demeure en
marge de ce champ la question de « la participation des membres du Conseil
d'État à des activités administratives ou d'intérêt général », régie par les articles
R 137-1 à R 137-4 du Code de justice administrative 13 issus du décret no 63766
du 30 juillet 1963 14.
Pour la première fois, ce texte consacre et organise juridiquement des pratiques
anciennes exprimant le lien entre les activités consultatives du Conseil
d'État et les tâches accomplies à titre individuel par certains de ses membres
auprès des administrations centrales de l'État 15 ; il s'agit très explicitement
alors de procéder à une réorganisation du régime de la collaboration avec
l'administration active, en vue de lutter contre les « anomalies », « lacunes » et
« inopportunités », pour reprendre les expressions du rapport de la commission
d'étude à l'origine du décret. Ce dispositif juridique est incontestablement mis
en œuvre, mais son évaluation est des plus complexes dans la mesure où elle ne
10. AFDA, Les controverses en droit administratif, Dalloz, 2017, p. 51 et s.
11. Pascale GONOD, « Le Conseil d'État, à la croisée des chemins ? », dans AJDA, 2008, p. 630.
12. Articles R.122-21-1 et R.122-21-2 du Code de justice administrative.
13. Voir également l'article L. 137-1 qui dispose : « Lorsque la participation d'un membre du
Conseil d'État soit à une commission à caractère juridictionnel ou administratif, soit à un jury
de concours ou d'examen est prévue, l'autorité chargée de la désignation peut porter son choix
sur un membre honoraire de rang au moins égal ou un membre étant ou ayant été placé en service
extraordinaire, après avis du vice-président du Conseil d'État ».
14. Roland DRAGO, « La réforme du Conseil d'État », dans AJDA, 1963, p. 254 ; Pierre
SANDEVOIR, « Le Conseil d'État et la réforme de 1963 », dans Rev. adm. , 1963, p. 455 et
p. 574.
15. Pascale GONOD, « À propos de l'article R.137-3 du Code de justice administ rative » , dan s
L'intérêt général. Mélanges en l'honneur de Didier Truchet, Dalloz, Paris, 2015, p. 249.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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