Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 49

Pascale GONOD
hauts fonctionnaires, dont les membres du Conseil d'État : leur présence dans
les cabinets d'avocats concerne, selon le comptage opéré à partir de l'Annuaire
du Conseil de 2018, sept membres placés en position de disponibilité, catégorie
à laquelle il faut ajouter les anciens membres qui sont dix-huit à exercer la
profession 28.
Ces « évasions » ne manquent finalement pas d'une certaine logique, si l'on
en juge de la manière dont « le Conseil d'État a su se convertir et investir cet
espace d'intermédiation pour entretenir le rayonnement du droit administratif
menacé par la montée de l'État régulateur, et promouvoir au passage les opportunités
de carrière de ses membres, préservant ainsi son positionnement au
cœur de l'État. » 29. D'ailleurs, la lettre de mission du Premier ministre adressée
à Frédéric Thiriez dans le cadre de la réflexion suivant une annonce de suppression
de l'École nationale d'administration se situe dans cette logique. Elle tend
en effet à promouvoir ces évasions, si l'on en juge par le fait que le chef du
gouvernement invite à « dynamiser » le déroulement des carrières en « favorisant
les échanges public-privé » 30. Reste que cela conduit à des situations assez
singulières, comme celle consistant pour l'État à faire appel à des conseils extérieurs
auprès de cabinets d'avocats qui comptent dans leur rang des membres
ou anciens membres du Conseil, voire qui les dirigent : tel est le cas de la soustraitance
de la rédaction de l'exposé des motifs de la loi mobilités , et/ ou de la
rédaction de son étude d'impact 31, ou encore la rédaction d'un décret qui aurait
été confiée à un avocat, ancien membre du Conseil d'État 32, tout un ensemble
qui reste encore un parent pauvre de la recherche juridique 33.
B
À l'inverse, et ensuite, le Conseil d'État développe une mission d'études et
de recherches. Il est vrai que, dans la mesure où le Conseil sort de son cœur de
métier, sans y être vraiment armé, comme l'a notamment montré Olivier Beaud
dans son analyse du rapport du Conseil sur la citoyenneté 34, cette évolution intéresse
particulièrement les juristes universitaires.
Le rapport public du Conseil d'État de 2012 comporte une nouvelle rubrique
figurant aux côtés de l'« activité consultative » et de l' « activité juridic28.
Ce qui est a priori en régression par rapport aux années antérieures ; pour mieux appréhender
la circulation, une étude des allers-retours dans les différents métiers de la sphère publique et
de la sphère privée serait bienvenue.
29. Caroline VINCENSINI, « Compte-rendu de l'ouvrage de Pierre France et Anto ine Vauchez
(Sphère publique, intérêts privés. Enquête sur un grand brouillage, Presses de Sciences P o ,
Paris, 2017) », dans Droit et société, 2018, .
30. Lettre du 8 mai 2019.
31. Le Monde, 29 novembre 2018.
32. « Des urnes qui urgent en prison », Le Canard enchaîné, 21 janvier 2019.
33. Bertrand-Léo COMBRADE, « Faut-il s'inquiéter de l'externalisation de l'évaluation législative
? », Tribune, dans AJDA, 2018, p. 2417.
34. « Le Conseil d'État et la citoyenneté : une lecture décalée et critique », dans Blog Jus Po liticum,
26 février 2019.
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Recherches et travaux, vol. 35/2022

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