Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 51

Pascale GONOD
De plus, les études menées par le Conseil d'État sont l'expression d'un discours
institutionnel qui pèse d'autant que cette parole bénéficie du prestige et
de la position de son auteur. Ce magistère moral s'intensifie en se déplaçant
quelque peu dans ce que le Conseil d'État désigne être sa fonction de « débats
». En effet, cette nouvelle contribution du Conseil d'État à l'analyse intellectuelle
des grandes questions de l'action publique dépasse les fonctions traditionnelles
qui sont assignées au Conseil d'État, à l'instar des « considérations
générales » du Rapport et des études thématiques. Cette diversification des missions
que s'assigne le Conseil d'État relève de ses seules volonté et impulsion
43, et constitue l'un des éléments d'une politique d'ouverture vers
l'extérieur menée par cette institution (organisation de conférences, entretiens,
séminaires et colloques, publiés dans Droit et débats). Si l'évaluation de
l'influence réelle d'une telle activité est complexe, parce qu'elle est diffuse, en
revanche le Conseil d'État y apparaît incontestablement, et à nouveau, comme
un « intellectuel collectif, chargé de penser au nom de l'État et d'orienter des
choix collectifs » 44 ; la prise en charge de cette mission originale pour le Conseil
traduit cette « auto-promotion du Conseil en tant que producteur d'idées
nouvelles : il montre que le Conseil se considère comme mieux armé que la
doctrine juridique, voire les " grands intellectuels " traditionnels, pour « lire le
monde où intervient l'État » 45.
Ce positionnement du Conseil d'État dans le champ de la réflexion intellectuelle,
qui peut surprendre - et qui étonne les observateurs étrangers -, participe
d'une stratégie plus générale de reconquête de son influence afin de maintenir
son emprise sur la société française, demeurer l'« âme » de l'État pour reprendre
le mot d'Hauriou. Le rapatriement des activités assurées jusqu'alors par
l'Institut français des sciences administratives au sein du Conseil, quand bien
même il y a toujours dominé, en est un signe 46.
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La position centrale du Conseil d'État dans l'État est assurément malmenée
par des défis auxquels ce dernier est lui-même confronté, mais le Conseil d'État
sait toujours faire montre d'une exceptionnelle capacité à s'adapter à son environnement
pour conserver cette position, comme le révèlent aussi l'extension
de ses missions et la transformation de ses fonctions traditionnelles. Les bouleversements
qui l'ont affecté, et par suite les réformes engagées, conduisent à
considérer que le mouvement de ces trente dernières années constitue une étape
dans l'évolution du Conseil d'État, moins spectaculaire mais néanmoins assimi43.
Elle n'est en effet contrainte par aucune prescription.
44. Jacques CAILLOSSE, « Le discours de la réforme administrative », dans Pascal MBONGO et
Olivier RENAUDIE (éd.), op. cit., p.125.
45. Jacques CHEVALLIER, « Synthèse », dans Pascal MBONGO et Olivier RENAUDIE (éd.), op. cit.,
p.177.
46. Pascale GONOD, « Sur la dissolution de l'Institut français des sciences administratives », dans
Qu'est-ce que le bien commun ? Hommage à Jean-Marc Sauvé, Berger-Levrault, Boulogne -
Billancourt, 2020, p. 129.
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Recherches et travaux, vol. 35/2022

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