Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 54

Les territoires impensés du droit adminstratif
Au-delà il y avait cependant dans la thèse une idée-force, celle d'une transformation
en profondeur du droit administratif sous l'empire de la pénétration
en son sein d'une rationalité d'ordre économique. Le sujet qu'il traitait offrait à
cet égard un terrain fertile, compte tenu de l'existence d'une jurisprudence
nouvelle, en tout premier lieu les arrêts Ville-Nouvelle Est et Ville de Sochaux,
rendus tous les deux en 1971 ; l'hypothèse n'en était pas moins audacieuse, et
avait d'ailleurs causé quelque souci à son directeur de thèse... Jacques Caillosse
a continué à la défendre, à l'argumenter et à l'approfondir dans le cadre
de ses écrits postérieurs, en prenant appui sur un ensemble de données, notamment
jurisprudentielles, venant conforter son bien-fondé : revenir comme il le
fait dans l'ouvrage Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative
4 sur Ville Nouvelle-Est, plus de quarante ans après la thèse, pour en évoquer
les prolongements, témoigne, non d'un retour au point de départ, mais de
la remarquable continuité de ses réflexions. L'idée de « sur-détermination économique
du droit administratif » a ainsi été formulée dans nombre de ses travaux,
qu'il serait fastidieux de citer, avant d'être reprise dans les deux ouvrages
qui en capitalisent les acquis 5. Relevons néanmoins que l'intitulé de la plupart
des articles dans lesquels elle figure est formulé de manière interrogative 6,
jusqu'au dernier en date 7 , ce qui est moins la marque d'une hésitation ou
d'une incertitude que d'un procédé argumentaire consistant à exposer les différentes
thèses en présence, affronter les objections éventuelles , avant d'exprimer
avec force son interprétation personnelle. Cette probité intellectuelle, on la retrouve
plus généralement dans la manière avec laquelle Jacques Caillosse
aborde les sujets qu'il traite, aussi bien dans ses interventions orales que dans
ses contributions écrites : d'abord, à titre préliminaire, s'interroger sur la façon
dont le problème est posé, débusquer les non-dits sous-jacents, les « impensés »
qui risquent de biaiser l'analyse, avant d'aborder la question au fond.
Après avoir exposé sommairement la thèse avancée par Jacques Caillosse
(I), les éléments qui permettent à ses yeux de l'étayer (II), les implications qui
en résultent concernant la configuration du droit administratif (III), je formulerai
quelques interrogations, sans nul doute partagées par lui, quant à sa portée
(IV).
4.
5.
6.
Jacques CAILLOSSE, Jacques CHEVALLIER, Danièle LOCHAK et Thomas PERROUD, Les grands
arrêts politiques de la jurisprudence administrative, LGDJ, PARIS, 2019 [coll. Les grandes décisions].
Jacques
CAILLOSSE, La constitution imaginaire de l'administration, PUF, Paris, 2008 [ co ll.
Les voies du droit], et L'État du droit administratif, op. cit.
Jacques CAILLOSSE, « L'administration doit-elle s'évader du droit administratif pour relever le
défi de l'efficience ? », dans PMP, 1989, p. 167 ; ID., « Le droit administratif contre la perfor -
mance publique ? », dans AJDA, 1999, p. 195 ; ID., « Le droit administratif saisi par la concur -
rence ?, dans AJDA, 2000, p. 99 ; ID., « Quel droit administratif enseigner aujourd'hui ? », dans
Rev. Adm., 328-329, 2002, p. 111 ; ID., « Personnes publiques et concurrence : quels enjeux
théoriques ? », dans AJDA, 2016, p. 761.
7.
Jacques CAILLOSSE, « L'ordre public économique : une notion hégémonique ? », dans Aurore
LAGET-ANNAMAYER (éd.), L'ordre public économique, LGDJ, Paris, 2018, p. 363.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
54

Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif