Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 56

Les territoires impensés du droit adminstratif
publique », sera l'indicateur de cette mutation : l'État « néo-libéral » se double
d'un « État managérial » ; la LOLF représenterait à cet égard un tournant essentiel
dans la mesure où la démarche de performance, c'est-à-dire le management
par les résultats, en est venue à « guider toute l'action de l'État ». La promotion
du management public ne pouvait manquer d'avoir un impact sur le droit administratif,
en venant brouiller « la plupart des grands découpages de la réalité par
lesquels procède la pensée juridique ». Le management public ne se déploie pas
en effet en marge du droit et parallèlement à lui : les préceptes managériaux
vont pénétrer au cœur même du droit administratif, en étant recodés en termes
juridiques ; « En raison de leur porosité respective, les deux registres sont en
situation de s'influencer mutuellement et finissent par avoir partie liée »
« l'hybridation » devenant la règle.
Appelé, comme le soulignait Jacques Caillosse dès 1989, à répondre « aux
exigences du marché et de la rentabilisation de l'administration », le droit administratif
serait ainsi dominé par une rationalité économique, comme le montrent
un ensemble d'illustrations.
II. Les illustrations
De multiples exemples témoignent, pour Jacques Caillosse, de la pénétration
dans le droit administratif de considérations d'ordre économique, ou encore
d'une « tendance lourde à l'indexation du droit administratif sur l'économie
». Dès sa thèse, il avait montré, en ce qui concerne le droit des propriétés
publiques, que l'équilibre jusqu'alors réalisé entre les contraintes de l'intérêt
général et les nécessités du marché avait été mis en cause ; l'idée d'un domaine
public « juridiquement condamné à fonctionner à perte parce que tenu hors
commerce » est désormais obsolète ; on sait que le nouveau Code de la propriété
des personnes publiques a ainsi entendu promouvoir une politique patrimoniale
active, permettant une meilleure valorisation du domaine public. Mais la
logique économique se profile dans bien d'autres domaines : mise en œuvre
dans la fonction publique d'une « gestion des ressources humaines » passant
par une meilleure évaluation et prise en compte de performances des intéressés
; réforme du Code des marchés publics, introduisant, sous la pression européenne,
davantage de transparence et de concurrence ; et, surtout, « figures
nouvelles du service public », dont le périmètre tend à se réduire et le régime
juridique à évoluer par la voie d'une insertion progressive dans la sphère de
l'économie de marché. La subordination au droit de la concurrence d'activités
publiques qui jusqu'alors y échappaient représente à cet égard un tournant essentiel
: dès l'instant où elles interviennent sur le marché en tant qu'opérateurs
économiques, les personnes publiques sont tenues de se plier aux règles du jeu
concurrentiel. Ces quelques exemples, pris parmi d'autres, attesteraient que « le
nouveau droit de l'action publique se construit dans la reconnaissance des exigences
ou encore des nécessités de l'économie ».
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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