Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 62

Les territoires impensés du droit adminstratif
Jacques Caillosse aboutit ainsi au même constat que celui que devrait dresser
l'histoire du droit public. Mais en empruntant d'autres chemins et une autre
forme de narration... Quels rapports étranges Jacques Caillosse entretient-il
avec l'histoire du droit ? Il déplace les lignes de force quant à la méthode et sur
le fond.
I. La méthode du propos : comment ?
(la « doctrine critique »)
A. Dévoiler
Nous pouvons partir d'un constat que Jacques Caillosse partage avec Pierre
Legendre 1 : il nourrit une très forte aversion à l'égard du droit administratif
comme « science de l'ignorance ».
Ce qui signifie au moins deux choses.
D'une part, Jacques Caillosse n'a de cesse de nous mettre en garde contre la
prétendue neutralité du droit. C'est un voile qu'il faut lever. Le droit administratif
échoue comme science sociale s'il prétend à la neutralité. Le droit administratif
est en effet science de l'ignorance en ceci : dans la plupart des manuels
et thèses, il développe une érudition sans faille pour ce qui concerne la technique
juridique. Elle est étayée par une référence abondante à la jurisprudence
du Conseil d'État érigée inconsciemment en gardien des écritures (i.e. il révèle
par ses arrêts la vérité du droit sur laquelle il ne serait pas utile de s'interroger).
D'autre part, et par voie de conséquence, le droit administratif en doctrine (à
supposer que manuels, revues spécialisées et thèses forment une doctrine) est
assimilable à ce qu'étaient les Répétitions de droit administratif sous la IIIe République.
La doctrine, depuis qu'elle considère que le droit administratif est essentiellement
jurisprudentiel (en gros depuis l'œuvre de Marcel Waline), est
répétitrice de la parole du juge administratif, qui lui-même prétend à la neutralité
du droit qu'il dit. Le Conseil d'État clôture et/ou verrouille ainsi le droit administratif,
comme l'écrivait à nouveau Legendre. Non pas qu'il l'ait souhaité,
mais parce que les universitaires y ont consenti. Pourquoi y ont-ils consenti ?
Parce que le droit administratif comme discipline universitaire s'est constitué
en champ clos. Parce qu'il cultive un académisme : il est fait de répétition et
incite à la répétition, laquelle se fonde sur une prétendue neutralité axiologique.
Cet académisme des habitudes, fondé sur les codes de l'érudition technicienne,
permet à ceux qu'on appelle les « administrativistes » de se reconnaître entre
eux (ce qui les rassure). Ils construisent un champ institutionnel où seront autorisés
à recevoir le baptême ceux qui fournissent les gages de cette érudition
technicienne, qui n'est que redite. En témoignent, comme le rappelle Jacques
1. Pour une analyse récente de l'ancienne Histoire de l'administration cf. Jacques CA ILLOSSE,
« Quel " droit administratif " Pierre Legendre fait-il entendre ? », dans Revue d'histoire des facultés
de droit et de la culture juridique, 37, 2017, p. 529-555. Nous paraphrasons ce titre en
forme de clin d'œil.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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