Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 73

Olivier BEAUD
cier son œuvre dans sa discipline de prédilection, laissant ce soin à d'autres. Ce
qui m'importe ici, c'est apprécier la portée de ses travaux sur le droit et sur
l'État. Or, de ce point de vue seulement, je considère qu'ils n'apportent pas
grand-chose aux juristes. Certains verront évidemment dans mon scepticisme le
réflexe de défense des juristes vis-à-vis des sociologues, ou d'autres spécialistes
des sciences sociales qui viennent interroger de façon critique et extérieure le
monde du droit. J'espère néanmoins démontrer que ce n'est pas tout à fait de
cela dont il s'agit ici.
I. Un constat : la réunion éclectique de Legendre et de Bourdieu
pour penser l'État en droit administratif
Dès l'introduction de son recueil d'articles sur l'État, Caillosse dresse le
constat selon lequel « la doctrine des juristes, du moins dans sa forme universitaire,
tient sur le droit administratif un discours indifférent à toute théorie de
l'État » 7. Il va de soi que, ayant défendu la même idée 8, je ne peux qu'y souscrire.
Mais
l'originalité de Jacques Caillosse est, face à ce constat de faillite en
quelque sorte, de se tourner vers deux auteurs hétérodoxes, Pierre Legendre -
juriste-historien - et Pierre Bourdieu, sociologue - « sociologue critique » -
qui, selon lui, feraient tenir ensemble droit administratif et théorie de l'État. Il
se réfère au premier comme pionnier de « l'histoire de l'administration » et au
second comme l'auteur d'une sociologie « dont le travail sur l'État sollicite le
matériau juridique » Plus loin, dans ce livre, afin d'opérer ce qu'il appelle la
« caractérisation du droit administratif », il se réfère aux deux mêmes auteurs,
qu'il appelle ses deux « arpenteurs » du champ de ce droit.
On commencera par dire quelques mots de ce premier « arpenteur », Pierre
Legendre, dont Jacques Caillosse cite l'œuvre qu'il connaît fort bien et de près,
pour expliquer aux lecteurs que l'on ne peut pas comprendre l'administration,
ou la bureaucratie française sans passer par le droit administratif. En termes
« caillossiens » - si l'on me pardonne ce néologisme - cela donne le propos
suivant : « Le discours du droit n'est pas la paraphrase de ce qu'accomplit
l'administration dans les faits, il participe de la fonction administrative en train
de s'accomplir. Il est par le jeu de ses formes et de ses propres représentations
impliqué dans l'administration en actes » 9. Une telle idée est une illustration du
7.
Jacques CAILLOSSE, L'État du droit administratif, op. cit., 2e éd., 2017, p. 30.
8. Cette conviction explique d'ailleurs pourquoi la revue Jus Politicum et l'Institut Michel Villey
ont jugé nécessaire d'organiser une table ronde « Autour du " droit administratif général " »
(dans Jus Politicum, 21, 2018) où J. Caillosse, P. Moor et P. Wachsmann ont discuté en p résence
de l'auteur le Traité de Benoît Plessix. Voir notamment Jacques CAILLOSSE, « Un " manuel "
hors les codes. À propos du Droit administratif général de Benoît Plessix » , dan s Jus
Politicum, 20-21, 2018 .
9.
Jacques
CAILLOSSE, L'État du droit administratif, op. cit., p. 38.
73
Recherches et travaux, vol. 35/2022
http://www.juspoliticum.com/article/Un-manuel-hors-les-codes-A-propos
Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif
