Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 8

Introduction
Les impensés du droit administratif, reflets d'une identité
disciplinaire
Comme celle d'autres domaines de la recherche, l'identité de la science du
droit administratif est entretenue par un ensemble de « marqueurs inconscients
(...) incorporés (au sens propre) dans le travail savant » 5. Il paraît difficile
d'échapper à cette « discipline [de la] discipline », qui vient « servir la naturalisation
des cartes conceptuelles et des clivages scholastiques », entretenir et socialiser
une identité disciplinaire, tout en assurant le « rappel à l'ordre » des
prétendants à « l'iconoclasme » 6. Or les choix épistémologiques ainsi protégés,
mais aussi les habitudes ou les idées -forces qui structurent, en un temps donné,
le champ de la réflexion en droit administratif, conduisent inévitablement à délaisser
certaines questions.
L'identité du droit administratif repose d'abord sur une manière de « faire
du droit », qui traduit, selon Jacques Caillosse, le « souci disciplinaire devenu
dominant de demeurer au plus près de la technicité juridique » 7. Elle est en
bonne part la déclinaison d'une plus globale « identité doctrinale, fondée sur le
primat de la dogmatique » 8. Comme le souligne Grégoire Bigot, faire du droit
administratif consiste généralement à « rendre compte » du droit, voire à répéter
« la parole du juge administratif, qui lui-même prétend à la neutralité du
droit qu'il dit » 9. En ce sens, admettre que le droit administratif est un droit politique,
dont l'étude est celle de la construction de l'État comme institution, « ce
ne serait pas faire du droit ».
Dans ces conditions, s' « il existe bien un impensé de la discipline intellectuelle
qui s'est construite autour des mots " droit administratif " (...), on peut
très sommairement le définir » avec Jacques Caillosse « de la manière suivante
: l'une des limites que connaît aujourd'hui la science du droit administratif
- telle qu'elle est le plus couramment pratiquée en doctrine - réside en ceci
qu'elle a construit sa propre identité théorique en abandonnant, volontairement,
la réflexion générale sur le droit. C'est là, on s'en doute, un jugement très général
(...), mais il n'est pas abusif d'affirmer que, dans l'ensemble, les discours
constitutifs de ce qu'il est convenu d'appeler le " droit administratif " ont fini par
imposer cette thèse que ce droit-là se suffit à lui-même, qu'il est en quelque
sorte une science du dedans » 10. S'exprime ainsi « le souci d'échapper à toutes
ces disputes qui sont le propre des autres sciences sociales » et d'éviter de « se
5. Bastien FRANÇOIS, « Préalable avant de prendre le droit comme objet », dans Jacques
COMMAILLE, Laurence DUMOULIN et Cécile ROBERT (éd.), La juridicisation du po litique ,
LGDJ, Paris, 2010 [coll. Droit et société - Classics], p. 118.
6. Ibid.
7. Conclusion de cet ouvrage.
8. Philippe JESTAZ et Christophe JAMIN, La doctrine, Dalloz, Paris, 2004 [coll. Méthodes du
droit], p. 141.
9. Grégoire BIGOT, chapitre rédigé dans cet ouvrage.
10. « Conclusion » de cet ouvrage.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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