Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 93

Agathe VAN LANG
doit nous permettre d'approcher les impensés de l'aménagement des territoires,
impensés que nous concevons comme les angles morts du champ de vision des
politiques.
La métaphore théâtrale se prête bien à notre thème car le territoire, espace
géographiquement délimité, peut être perçu comme la scène où se jouent de
multiples représentations. Le territoire est d'ailleurs par excellence le théâtre
des manifestations de la puissance publique souveraine.
Vous êtes donc invité.e à assister à une pièce en deux actes, où l'on verra
que les ratés de l'aménagement des territoires résultent d'abord d'une mise en
scène défaillante de la puissance publique, et ensuite de l'entrée en scène
d'acteurs dépourvus de texte(s).
I. Une mise en scène défaillante de la puissance publique
Nous partirons de l'idée que la puissance publique incarne traditionnellement
le rôle du souverain, qui se déploie sur deux registres : la maîtrise de
l'usage des territoires et l'adoption de décisions unilatérales contraignantes.
Elle construit pour ce faire une rationalité juridique largement fictive. Sa confrontation
avec les « faits bruts » et les attentes sociales - non décelées car non
intégrées dans les logiciels de la haute fonction publique - peut aboutir à
l'échec de certains projets d'aménagement. Les impensés qui se révèlent ici
sont les limites du gouvernement et de la gouvernance.
A. Le gouvernement erratique d'un territoire fantasmé
1. Le dessein aménageur des collectivités publiques se projette de façon bidimensionnelle
sur la carte de France, autant dire de manière très théorique. Les
aspects physiques, historiques et sociaux des territoires semblent en partie ignorés,
au point que certains auteurs estiment que « le territoire demeure une notion
implicite du droit » 8, appelant une mise en relation du territoire géographique
et du droit, aujourd'hui absente - comme impensée. Les instruments de
cette politique contribuent aussi à la dématérialisation des espaces concernés :
la planification et la contractualisation qui prédominent s'appuient sur des données
quantitatives, des objectifs chiffrés, des projections abstraites. Comme
l'écrit Alain Supiot, « la croyance en des images chiffrées se substitue progressivement
au contact réel avec les réalités que ces images sont censées représenter
» 9. Cette vision plaquée d'en haut, à différentes échelles territoriales, est
déjà l'expression d'une forme de violence symbolique, apanage de la puissance
publique notamment. Il en résulte une conception de l'aménagement des terri8.
Nadia BELAÏDI et Geneviève KOUBI, « Droit et géographie. Construire une approche pour
(re)lire l'environnement », dans Développement durable et territoires, 6, 1, mars 2015, p. 1.
9. Alain SUPIOT, « L'inscription territoriale des lois », dans Esprit, novembre 2008, p. 151.
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Recherches et travaux, vol. 35/2022

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