Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 96

Les impensés du droit adminstratif des territoires
surgence aujourd'hui, comme un retour du refoulé, prenant le droit au dépourvu.
L'organisation de l'espace n'est pas pensée actuellement pour ménager,
comme une troisième voie entre biens publics et propriété privée, une forme de
propriété partagée. En effet, « le commun serait une forme d'action - le « faire
commun » - qui pousserait à réinterpréter le rôle des États et de la propriété,
qu'elle soit publique ou privée » 19. Il se caractérise par l'ouverture de l'accès et
le partage de l'usage, l'existence d'une communauté (les commoners) et la revendication
d'un projet ainsi que de la possibilité de sa réalisation. Offrant une
alternative qu'on croyait impossible, les communs sont importants , selon Serge
Gutwirth, « parce qu'ils sont bien vivants, multiples, enracinés dans le réel, le
devenir et des territoires » 20.
Le désir (impensé) de communs transparaît, selon nous, derrière le naufrage
de certains grands projets, tels que l'extension du camp militaire du Larzac ou
l'Aéroport de Notre-Dame-des-Landes : les opposants ont développé leur projet
pour les territoires en cause, mis en œuvre des usages partagés, dans le respect
de la biodiversité, des spécificités locales, des traditions... Il a bien fallu faire
entrer ces expériences dans un cadre juridique, non sans difficulté, comme on le
voit avec la question de la réattribution des terres à Notre-Dame-des-Landes.
3. Face à une opposition qui se traduit par l'occupation physique des sites à
déménager (médiatisée sous l'acronyme ZAD, zone à défendre), l'État peut être
tenté de recourir à une autre de ses prérogatives, l'emploi de la violence (physique)
légitime. Or les conséquences concrètes des interventions des forces de
l'ordre sur le terrain, à défaut d'être impensées, semblent parfois occultées. Audelà
des blessures et mutilations plus ou moins graves, la mort d'un manifestant
désarmé peut constituer un retour au réel brutal. Ainsi, le décès de Rémi
Fraisse, jeune militant écologiste, tué par une grenade offensive lors
d'affrontements sur la ZAD du Testet, site du projet de barrage de Sivens, fait
aujourd'hui figure de symbole 21. Le drame a entraîné l'abandon du projet de
barrage destiné à l'irrigation agricole (trois hectares de zones humides avaient
été déjà détruits illégalement). Il est probable que le fantôme de Rémi Fraisse
hante désormais les préfets et ministres de l'Intérieur lorsqu'ils décident de
faire intervenir la police pour évacuer des zadistes (comme en août 2018 pour
permettre le lancement des travaux du Grand Contournement Ouest de Strasbourg).
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L'approche de l'aménagement des territoires sous l'angle des ratés et des
projets contestés donne à voir des choix imposés par le gouvernement et des
élus déconnectés de réalités, notamment sociales. Faut -il en conclure que
l'enjeu démocratique est un impensé de cette politique ? Certainement pas,
19. Delphine MISONNE, Marie-Sophie de CLIPPELE et François OST, « L'actualité des communs à
la croisée des enjeux de l'environnement et de la culture », dans RIEJ, 2018/2, p. 59.
20. Serge GUTWIRTH, « Quel(s) droit(s) pour quel(s) commun(s) ? », dans RIEJ, 2018/2, p. 83.
21. Décès intervenu le 26 octobre 2014. Drame qui a connu un précédent, avec la mor t de Vit al
Michalon en juillet 1977, tué par une grenade offensive alors qu'il manifestait à CreysMalville
contre le projet de surgénérateur Superphénix.
Recherches et travaux, vol. 35/2022
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