Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 97

Agathe VAN LANG
mais la difficulté vient de ce que la consultation de la population est recherchée
principalement dans un but de légitimation de la décision publique.
B. Un théâtre d'ombres : les illusions de la bonne gouvernance
« Les tracas et les incertitudes politiques du gouvernement d'un territoire
pourraient [...] s'effacer grâce aux techniques d'une bonne gouvernance »,
suggère, non sans perfidie, Alain Supiot 22. Parmi ces techniques, les procédures
participatives sont consubstantielles à la gouvernance. Elles se présentent
comme un renouveau démocratique, mais l'abandon de projets, pourtant passés
au crible de toutes les procédures administratives existantes (tel l'Aéroport du
Grand Ouest), témoigne de leur incapacité à permettre la rencontre des décideurs
publics et de la population. Les échecs de la démocratie part icipative ou
délibérative peuvent être lus comme un symptôme de la vacuité du modèle hégémonique
de la gouvernance. Ou, tout au moins, comme un révélateur de
l'impensé de ses limites (ce qui paraît inhérent à un modèle hégémonique).
On a pu constater ces dernières années, à l'occasion de grands projets
d'aménagement, que les procédures de concertation préalable, de débat public,
d'enquête publique, tournent au dialogue de sourds entre deux partis irréconciliables.
Les opposants se radicalisent, cherchant non pas à modifier un projet,
mais à obtenir son abandon (cf. par exemples Sivens, Grand Contournement
Ouest de Strasbourg, Notre-Dame-des-Landes, EuropaCity...). Parfois ils gagnent
la partie.
Plusieurs hypothèses permettent d'expliquer ce phénomène.
- Le public, l'habitant, le citoyen ou l'administré concerné n'existent pas
réellement, c'est un leurre : il s'agit d'une population fictive « si l'on accepte,
[comme nous y invite Loïc Blondiaux,] l'évidence selon laquelle c'est le dispositif
qui construit et crée le public auquel il s'adresse » 23. Il en résulte que les
personnes réellement intéressées fuient ces procédures, et peuvent être tentées
d'agir à la marge pour obtenir des résultats.
- La promesse démocratique que véhiculent les procédures participatives
s'avère donc décevante. Peut-être parce que leur fonction première n'est pas de
démocratiser le processus décisionnel, mais d'offrir une légitimité aux décisions
qui en découlent. « La légitimité d'une mesure ne dépendrait plus seulement
de la nature de l'autorité qui la prend mais de la manière dont elle est
prise » 24. Toutefois, comme le montrent les projets d'aménagement fortement
contestés, il ne suffit pas de mettre en œuvre des procédures pour rendre la décision
publique incontestable. Ce qui se joue dans la mise en scène de la démocratie
participative est peut-être d'un autre ordre que la fabrique de la décision
22. Art. précit.
23. Loïc BLONDIAUX, « L'idée de démocratie participative : enjeux, impensés et questions récur -
rentes », dans Marie-Hélène BACQUE, Henry REY et Yves SINTOMER (éd.), Gestion de proximité
et démocratie participative. Une perspective comparative, La Découverte, P ar is, 2005
[coll. Recherches], p. 119.
24. Ibid.
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Recherches et travaux, vol. 35/2022

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