Droit et Société - Tome 35 - Les impensés du droit administratif - 98

Les impensés du droit adminstratif des territoires
publique : « La participation aurait vocation à créer du " lien social " , à animer
les quartiers, à rapprocher les citoyens entre eux » 25. La rencontre et le dialogue
ne sont jamais vains : il a été montré à propos du projet abandonné
d'extension du port de Nantes -Saint-Nazaire sur la commune de Donges, dans
l'estuaire de la Loire, que « l'enquête publique a marqué un tournant dans le
positionnement des acteurs, en provoquant un infléchissement des discours
[...]. Les propos s'étayent et s'affinent en même temps qu'ils se rapprochent,
soulignant l'importance de processus de confrontation et leur nécessité dans
l'évolution de ces préférences » 26.
Comment comprendre alors le projet de réforme de l'enquête publique, qui
serait remplacée par une « participation du public par voie électronique », procédure
totalement dématérialisée ? 27 L'on peine à croire que la suppression de
la rencontre physique et de l'échange avec le commissaire enquêteur - susceptible
d'éclairer le public sur un projet - contribue à renforcer la crédibilité ou
l'effectivité de la procédure...
Sur le plan technique, ces procédures ont été précisées et affinées . La dernière
réforme en date par les ordonnances du 3 août 2016 visait à « démocratiser
le dialogue environnemental », et renforcer la mise en œuvre du principe de
participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence
sur l'environnement. Dès lors, « l'impensé procédural » dénoncé par
Loïc Blondiaux en 2005 n'existe plus vraiment. Mais « l'impensé conceptuel »
demeure, les catégories de la démocratie représentative, de la démocratie participative
et de la démocratie délibérative ne permettent pas d'offrir à la population
plus qu'une « participation » à la décision. Les formes participatives se
cristallisent en outre sur les opérations ponctuelles et potentiellement conflictuelles.
L'implantation
de grands équipements et de grandes infrastructures linéaires
soulève de nombreuses difficultés techniques, justifiant le recours à des « experts
». Selon Lucile Schmid, « ce qui se joue aujourd'hui, c'est la possibilité
d'associer une expertise assez verticale et technocratique et un véritable débat
démocratique pour changer les décisions politiques ». Il paraît nécessaire de
penser/inventer de nouvelles formes démocratiques 28, « d'imaginer un système
de pensée et d'action où l'État interagit avec la société » 29. Il s'agit en somme
25. Ibid.
26. Claire CHOBLET, Laure DESPRES et Patrice GUILLOTREAU, « Donges Est : les mo ts du con -
flit », dans Place Publique Nantes-Saint-Nazaire, mai-juin 2007, p. 35.
27. Décret n° 2018-1217, 24 décembre 2018 : nouvelle procédure expérimentée pour trois an s,
jusqu'au 11 août 2021, dans les régions Bretagne et Hauts-de-France, pour t ous les p rojets
soumis à autorisation environnementale. Dans le même sens, la loi du 7 décembre 2020
d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) rend l'enquête publique exceptionnelle
dans le cadre de l'autorisation environnementale.
28. Géraud GUIBERT, art. précit.
29. Lucile SCHMID, « Le contre-pouvoir écologique », dans Esprit, janvier-février 2018 , p. 36 :
« On peut se demander si la technocratisation des enjeux écologiques n ' a pas joué contre
l'entrée dans la réalité. Le même constat vaut dans les territoires, où les préfets et la CommisRecherches
et travaux, vol. 35/2022
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