Revue - Droit & Société N°111-2022 - 40

I. LIZZOLA
Conclusion
Le conflit entre les logiques de la nécessaire prévention du risque et de l'urgence
créée par l'atteinte aux droits fondamentaux entraîne la production de catégorisations
contrastées sur les intéressés visant, du côté de l'accusation, à motiver rétrospectivement
les mesures limitatives des libertés fondamentales et, de celui de la
défense, à argumenter prospectivement en faveur de leur suspension en vertu de
l'atteinte portée aux libertés.
Des temporalités contradictoires sont à l'œuvre, liées aux modalités de construction
des récits de l'accusation et de la défense, et à leur contenu. D'un côté,
dans l'enquête policière, la narration se construit dans le temps long de la réalisation
de l'enquête. Tout en étant concentré, le récit produit par cette dernière porte
sur des faits courts. Le « tournant » se produit alors quand l'activité de surveillance
est « conclue », et que l'interprétation d'un ensemble de « faits » les amène à être
constitutifs d'une situation de « menace » et d'urgence sécuritaire, les critères régissant
cette qualification restant cependant flous. Les administrations policière et
judiciaire maîtrisent le maintien de ce flou : c'est précisément cette ambiguïté qui
leur permet de légitimer la logique sécuritaire préventive. De l'autre côté, la défense
opère dans un temps plus court. En revanche, son récit repose sur une narration
plus longue des faits, qui retrace la biographie des individus.
La dimension asymétrique de la construction de ces narrations et la dissonance
relative au contenu du récit mettent en lumière des maîtrises du temps judiciaire
opposées entre les parties.
L'étude des catégorisations d'appartenance permet d'analyser l'effet de la temporalité
de la procédure sur le raisonnement préventif, qui est produit séquentiellement
et dialogiquement par les acteur·ices. Elle met en lumière les raccourcis
opérés par le raisonnement préventif dans sa construction orientée et instruite : les
catégorisations élaborées par les acteur·ices et la considération relative à leur portée
dans un « contexte » de « menace terroriste » jugé « préoccupant » sont le résultat
de contraintes procédurales impliquant une réflexion, menée par les différentes
parties, sur les critères légitimant le recours aux notions d'urgence et de risque.
Dans ce cadre, face à une surveillance s'étalant sur plusieurs années, le jugement
porté sur la dangerosité de la personne s'opère selon plusieurs temporalités.
D'une part, celle de l'urgence qui caractérise les procédures en référé. Il s'agit d'une
temporalité resserrée qui contribue, en présence d'une note blanche, à l'adoption
par la justice du raisonnement préventif formulé en premier lieu par les enquêteurs.
D'autre part, celle, plus longue, de la requête au fond, qui aboutit pourtant,
en présence de la note, au même résultat.
La perception de l'urgence sécuritaire, suggérée par l'enquête de surveillance,
accompagne la prise de décision administrative et judiciaire, et se nourrit d'éléments
de contexte concourant à la légitimer.
Caractérisée par la présence jugée avérée d'une menace, elle prime dans toutes
les procédures où le raisonnement judiciaire peut se fonder sur des notes blanches,
qui permettent l'adoption, par les différentes instances de la justice administrative,
266  Droit et Société 111/2022
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