Revue - Droit & Société N°111-2022 - 44

R. ROUMÉAS
Depuis un demi-siècle, la critique de la lenteur de la justice fédère les réformes
pénales autour d'un but a priori consensuel 1, légitimé par l'attente des justiciables.
La comparution à délai différé vient s'ajouter, en 2019, à une longue liste de procédures
accélérées qui ont profondément transformé la justice de masse des délits 2.
Au contraire, en considérant le temps et les moyens alloués aux dossiers criminels,
les cabinets d'instruction et les cours d'assises paraissent préservés de l'injonction
à « faire vite », du moins jusqu'à l'expérimentation de la cour criminelle départementale
3. Pourtant, la procédure criminelle est régulièrement accusée d'être « engorgée
» et de manquer d'efficacité 4 au regard des normes européennes du « délai
raisonnable ».
En l'absence de réforme, il incombe aux magistrat·es, pour qui le « déstockage »
des tribunaux fait désormais partie du métier 5, de surveiller la « performance » et la
célérité de cette justice. La correctionnalisation constitue à cet égard un instrument
privilégié : elle consiste à taire les circonstances criminelles d'un dossier, pourtant
caractérisées, afin de le déverser vers les circuits correctionnels accélérés. Ce pouvoir
discrétionnaire transforme notamment des viols en agression sexuelle, des tentatives
d'homicide en violences volontaires et des vols à main armée en vol avec violence 6.
Toujours illégale 7, la sélection des crimes s'impose néanmoins par deux siècles
d'usage et par une première forme d'encadrement avec la loi Perben II de 2004 8. La
victime, qui n'avait autrefois pas son mot à dire, peut désormais faire appel de ces
décisions. Plus encore, les professionnel·les déclarent habituellement que le choix
de la qualification lui revient et qu'il faut, pour correctionnaliser, « s'entendre tacitement
ou de façon expresse » avec elle 9. Ses prétentions pourraient ainsi s'insinuer
dans la gestion professionnelle des délais judiciaires, voire lui faire obstacle.
Pourtant, les contestations sont rares, alors que la disqualification coïncide a priori
avec les intérêts de la partie adverse. Pour beaucoup de professionnel·les comme de
juristes, c'est la preuve qu'elle « est indubitablement dans l'intérêt des différents pro1.
Antoine VAUCHEZ et Laurent WILLEMEZ, La justice face à ses réformateurs, Paris : PUF, 2007 ; Benoit
BASTARD, David DELVAUX, Christian MOUHANNA et al., « Vitesse ou précipitation ? La question du temps dans
le traitement des affaires pénales en France et en Belgique », Droit et Société, 90, 2015, p. 271-286.
2. Jean DANET (dir.), La réponse pénale. Dix ans de traitement des délits, Rennes : PUR, 2013.
3. Cette cour simplifiée, dont la généralisation est actuellement débattue, est dépourvue de jury et compétente
pour juger les crimes encourant jusqu'à 20 ans de réclusion.
4. Christiane BESNIER, « L'avenir de l'audience criminelle : France, Belgique, Suisse », Les Cahiers de la
Justice, 4, 2017, p. 639-652.
5. Virginie GAUTRON, « L'impact des préoccupations managériales sur l'administration locale de la justice
pénale française », Champ pénal [En ligne], XI, 2014.
6. Pour une analyse centrée sur les techniques et les choix opérés, voir Rémi ROUMÉAS, « De la discrétion
dans la sélection des crimes. Approche sociologique de la correctionnalisation judiciaire », Déviance et
Société, 46 (2), 2022 ; au sujet de la correctionnalisation des viols en particulier, voir aussi Sylvie CROMER,
Audrey DARSONVILLE, Christine DESNOYER et al., Les viols dans la chaîne pénale, Université de Lille, Université
de Nantes (rapport de recherche), 2017.
7. Les articles 111-1 à 111-4 du Code pénal commandent une interprétation stricte des qualifications
juridiques.
8. Audrey DARSONVILLE, « La légalisation de la correctionnalisation judiciaire », Droit pénal, étude 4, 2007.
9. Catherine QUERET, La correctionnalisation judiciaire en 1990 », Mémoire de DEA de droit processuel,
Paris 2, 1990, p. 23.
270  Droit et Société 111/2022

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