Revue - Droit & Société N°112-2022 - 39

Norberto Bobbio et la crise du positivisme juridique dans l'Italie d'après-guerre
dans le but de rendre efficaces les règles juridiques ; [...] du haut vers le bas, on voit
un ensemble de règles imposées afin de rendre possible l'exercice d'un pouvoir » 51.
En outre, s'il existe bien des normes auxquelles les sujets adhèrent spontanément,
les normes constitutionnelles en font partie. On retombe alors sur l'argument précédent
opposé au droit coutumier. Concernant le droit international, la majeure
partie des juspositivistes nie qu'il s'agisse d'un droit au sens strict. Ainsi, rappelle
Bobbio, John Austin le qualifiait de morale positive, et l'un des plus célèbres juristes
italiens, Francesco Carnelutti, le considérait comme un droit embryonnaire.
Sur ce dernier point,
le propos de Bobbio est assez discutable. Dans l'aprèsguerre,
Kelsen a soutenu, par exemple, qu'« il est impossible de nier la validité générale
du bellum justum » 52. Autrement dit, un État ne peut en agresser un autre, pour
n'importe quelle raison, sans violer le droit international. Même si « il n'institue pas
d'organe spécialisé pour la création et l'application de ses normes », qu'il est « encore
en un état de décentralisation extrêmement poussée » comparable au « droit
des sociétés primitives » 53, le droit international est bien du droit. Ses normes sont
produites par les « membres de la collectivité juridique eux-mêmes », « par voie de
coutume et par traités » 54.
Une thèse assez proche peut être trouvée chez un autre positiviste, Dionisio Anzilotti,
d'après qui « les normes établies par la volonté concordante des États pour le
règlement de leur conduite existent sans aucun doute » 55. La science juridique
internationaliste a été conçue précisément pour étudier ces normes. Selon Anzilotti,
elles sont souvent particulières et limitées à quelques sujets, mais leur « force
obligatoire [...] dérive du principe que les États doivent respecter les accords conclus
entre eux : pacta sunt servanda » 56. Ce principe constitue la norme fondamentale
du droit international. C'est de cette norme fondamentale que les autres
normes tirent leur force obligatoire. Cette norme fondamentale est indémontrable
d'un point de vue juridique - démontrable peut-être à d'autres points de vue qui
sont sans pertinence pour la science du droit -, comme le sont toutes les normes
fondamentales des autres ordres juridiques. Ceux qui reprochent au droit international
de ne pouvoir s'appuyer sur un authentique appareil coercitif, apte à faire
respecter ces normes, refusent en réalité de reconnaître la légitimité et la spécificité
de cette discipline. Ils souhaitent en finir avec le droit international lui-même. En
suivant ce raisonnement, ne devrait-il pas être remplacé par le droit public interne
d'un nouvel État mondial, un super-Léviathan - thèse soutenue, en l'occurrence,
par Bobbio 57 ? Par conséquent, d'après Anzilotti, « il faut tenir pour dénuées de
signification les objections dirigées contre l'existence du droit international et tirées
51. ID., Contributi ad un dizionario giuridico, op. cit., p. 76.
52. Hans KELSEN, Théorie pure du droit, trad. C. Eisenmann, Paris : LGDJ, Bruxelles : Bruylant, 1999, p. 313.
53. Ibid.
54. Ibid., p. 314.
55. Dionisio ANZILOTTI, Cours de droit international, vol. I, trad. G. Gidel, Paris : Recueil Sirey, 1929, p. 48.
56. Ibid., p. 43-44.
57. Cf., sur la question de l'État mondial chez Bobbio, Jean-Baptiste LE BOHEC, Norberto Bobbio et la question
internationale, Rennes : PUR, coll. « Philosophica », 2016, p. 341-357.
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