Revue - Droit et société n°114/115-2023 - 153

Bricolages juridiques dans la formalisation des droits fonciers coutumiers
l'accès à la terre familiale des parents demeurerait à destination exclusive des
descendants masculins, même après le décès des parents et aussi longtemps que
les frères rendent visite et envoient des denrées à leurs sœurs.
Par ailleurs, les pères s'arrogent parfois la possibilité de retirer l'igiseke à leurs
filles. Karin van Boxtel, dans son mémoire de Master écrit à partir d'une enquête
de terrain de six mois effectuée auprès de femmes de la commune de Ngozi, met
en lumière le pouvoir quasi discrétionnaire des hommes dans l'attribution de
l'igiseke. Elle rapporte notamment l'histoire conflictuelle de Pascaline, à qui la
belle-famille a refusé l'accès à la terre du père de ses enfants à partir de leur
séparation. Ses propres parents lui ont, en outre, interdit de revenir s'installer sur
leur terre, au motif que leurs petits-enfants appartiennent au lignage de leur père
et qu'ils doivent en ce sens rester dans la famille, a fortiori sur la terre de celui-ci.
Karin van Boxtel expose également l'impossibilité pour Marie-Rose d'accéder à
la terre de son père depuis que celui-ci lui a retiré l'igiseke afin de la sanctionner
pour avoir donné naissance à un enfant pendant la période de veuvage de feu son
époux28. Un autre conflit répertorié par Klara Claessens dans le cadre d'une enquête
de terrain doctorale effectuée dans la Province de Mohinga, limitrophe de celle
de Ngozi, dévoile les stratégies de négociation que certaines femmes mettent en
œuvre pour assurer leur accès aux igiseke, malgré l'opposition de leur père29. Elle
met également en lumière des cas où, à la mort des parents, les fils ont nié le droit
d'accès coutumier de leurs sœurs et où l'État, faute de procédures d'exécution des
décisions judiciaires, n'a pas donné droit aux revendications que le tribunal de
résidence avait pourtant jugé légitimes30.
Outre le fait que l'accès des femmes à la ressource foncière soit soumis à
l'assentiment des pères et des frères, l'exercice de l'igiseke est circonscrit dans le
temps et restreint à un usage exclusif. Les filles mariées, lorsqu'elles bénéficient
d'un igiseke, en sont effectivement titulaires pour leur personne, pas pour le
compte de leurs éventuel·les enfants, ces dernier·ères étant réputé·es appartenir
au lignage de leur père. L'igiseke disparaît ainsi avec le décès des filles, car il n'est
pas transmissible. À Ngozi, cette prescription est du reste régulièrement rappelée
par les hommes aux agent·es des services fonciers communaux chargé·es des
opérations de reconnaissance : ils interdisent aux enfants des filles et des sœurs
d'assister à la procédure d'identification des parcelles et de leurs ayants droit31.
Au Burundi, l'accès coutumier aux ressources foncières est ainsi soumis à des
critères de genre et de lignage ayant pour effet d'exclure les filles de l'héritage de
28. Karin van Boxtel, Women's Negotiations to Secure Land Tenure : a Matter of Social Networking?,
op. cit, p. 54.
29. Klara Claessens, « Les limites des réformes foncières étatiques dans un contexte de pluralisme
juridique au Burundi : une approche sous l'angle du genre », in Stefaan Marysse, Filip Reyntjens et
Stef Vandeginste, L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2010-2011, Paris-Anvers : L'Harmattan-Centre
d'étude de la région des grands lacs d'Afrique, p. 37.
30. Klara Claessens, « Les limites des réformes foncières étatiques dans un contexte de pluralisme
juridique au Burundi : une approche sous l'angle du genre », op.cit., p. 35.
31. Carnet de terrain, Colline Ntiba, Ruhororo, 7 août 2014.
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