Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 107

Lucie ELIE, Marie-Pierre LEFEUVRE
rapport de coopération conflictuel avec des professionnels du droit : « Ils [les
notaires avec lesquels nous avons travaillé] n'arrivaient à comprendre, ils
n'arrivaient pas, c'était une première et ils nous remettaient toujours dans leurs
modèles à eux, donc c'est ces histoires d'espaces collectifs, dont même les locataires
avaient la jouissance... pouah ! Pour eux c'était le bout du monde
quoi », relate une ex-membre de la commission juridique. Il s'est agi d'inventer
ses propres règles en jouant « avec le droit » (ce qui correspond à l'une des
trois modalités du rapport au droit décrites par P. Ewick et S. Silbey 28).
De cette autocéphalie les copropriétaires et membres de l'association sont
conscients. Ils la réactualisent au travers d'un effort de régulation constant, qui
oscille entre deux pôles : la « conformité face au droit », la vigilance relative au
caractère « réglementaire » de leurs actions d'une part, une « autorégulation »,
fondée sur la confiance interpersonnelle de l'autre. Dans plusieurs discussions
auxquelles nous avons assisté, chaque position trouve des défenseurs.
Françoise, enseignante retraitée, accédante, membre du CSC et du GT « enfants »,
ex-pilier de la commission juridique, enjoint le groupe à être plus « carré » :
« C'est vrai qu'il y a une tendance générale à une espèce de flou artistique fort
sympathique, de dire toujours " oui on fonctionne comme ça, et ça marche bien,
et y a la bienveillance, puis y a ceci " . Seulement, avec le notaire on a toujours
dit ça, on a dit " le jour où y a des difficultés, c'est là qu'on a besoin des textes,
c'est là qu'on a besoin de retourner au... tu vois ? " ».
Le « flou » dénoncé par Françoise est défendu par Franck et par Sylviane au
nom de « l'autorégulation ». Lors de la plénière, cette dernière développe les
arguments suivants :
« Je pense qu'il faut se faire confiance. Le groupe il a... il a passé des étapes
beaucoup plus complexes que ce qu'on vit aujourd'hui où il fallait tout construire,
c'était avant d'habiter ici, personne ne connaissait le fonctionnement du
groupil, on y est allés, moi j'ai le sentiment qu'on a un groupe qui est à la fois
tellement structuré, solide, bienveillant et [insiste sur le mot], très complémentaire
dans ses individus qui le composent qu'on retombe toujours sur nos pattes,
pour moi je suis pas inquiète. » Elle ajoute, à la fin de la réunion : « Je refuse,
mais c'est peut-être un problème, hein, je refuse de me... mettre dans une dimension
procédurière [...] Dans le fonctionnement je nous fais vraiment confiance,
les choses se font, se font bien, je suis pas inquiète [...]. Je trouve que
notre fonctionnement étant satisfaisant, j'ai toujours peur de partir... Euh, peut
être ça fait partie d'une expérience personnelle que j'ai pu avoir avec plusieurs
organismes où on est tombés dans un système entre guillemets, hein, entre guillemets
pour nous " très bureaucratique " , voilà, je privilégie le vécu, le partage
plutôt que le... les principes procéduriers. »
Sylviane évoque sa confiance à l'égard des normes de fonctionnement du
groupe. À ses yeux, celui-ci est suffisamment intégré pour se passer de tout
28. Patricia EWICK et Susan SILBEY, op. cit.
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Recherches et travaux, vol. 37/2023

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