Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 108

Entre copropriété et association
Un projet d'habitat participatif dans le sud de la France
formalisme juridique. À l'inverse, Françoise attend du droit qu'il donne une
assise à cette confiance. Les fondements de leurs positions antagonistes trouvent
une explication (partielle) dans les extraits cités : l'une a un rapport étroit
aux règles qui régissent Casa Alta pour avoir participé à leur fabrication ;
l'autre les perçoit à travers le filtre de son expérience antérieure des « procédures
», dans d'autres contextes. Mais leur échange et, plus généralement, la
controverse relative à l'autorégulation versus la formalisation des règles témoigne
d'une incertitude partagée. Comme le constate R. Laufer, la thématisation
de la confiance doit être interprétée comme « le signe qu'elle vient à manquer
29 ».
Cette incertitude doit être mise en regard du foisonnement de règles et de
l'attention portée à leur opérationnalité ; ainsi lorsqu'Olivier affirme les vertus
de la « sociocratie » comme « instrument de gouvernance ». « Les conventions
[propres à un monde social] traduisent l'adaptation continuelle des acteurs de la
coopération aux conditions d'exercice de leurs activités », observe Becker 30.
Les règles font partie de ces conventions. Elles ont une vocation instrumentale,
se forgent dans l'activité conjointe et l'étayent. Mais leur fonction est aussi
symbolique : elles identifient le monde social de Casa Alta et le délimitent.
Elles contribuent à l'instituer cet habitat participatif, aux yeux de ses habitants
et au-delà 31. À cet égard, les règles de droit sont peu différentes des rituels qui
entretiennent le lien social (ainsi celles imposant des rencontres régulières telles
que le « vendredi papote », apéritif auquel tous les habitants sont conviés
chaque vendredi soir). Le rappel régulier des moments fondateurs de Casa Alta
(assemblée constitutive ; commission juridique chargée d'élaborer les règles de
fonctionnement du conseil syndical, etc.) participent du même processus que
les séquences ritualisées qui rythment la vie collective. Il s'agit de rites
d'institution 32. Ces rites visent à maintenir un système social que l'on sait fragile
: « Dans la loi de la libre association en France, euh, on ne peut pas contraindre
quelqu'un à adhérer à l'association, ça c'est juste impossible, et donc si
du coup un locataire change et ne veut pas adhérer à l'asso, et bah il... participe
à rien. C'est l'association qui gère tout, qui gère le vivre ensemble au quotidien
» (Lorine, accédante aidée, assistante sociale, conjointe d'Olivier).
L'arrivée éventuelle de copropriétaires n'ayant pas participé à l'élaboration du
projet soulève les mêmes appréhensions. De nouveaux habitants pourraient
menacer le principe consensualiste qui régit l'association et arrime celle-ci au
syndicat.
29. Romain LAUFER, « Confiance, esthétique et légitimité : le cas de l'iconographie des billets de
la Banque de France », dans Romain LAUFER et Magali ORILLARD, La confiance en question,
L'Harmattan, Paris, 2000, p. 168.
30. Howard S. BECKER, Les mondes de l'art, Flammarion, Paris, 2010 [1982], p. 81.
31. Connaissant le but de notre recherche, certains membres du conseil syndical ont d'ailleurs
manifesté leur envie de faire des propositions de modification du droit de la copropriété en y
incorporant des organes permettant l'implication de tous les habitants.
32. Pierre BOURDIEU, 1982. « Les rites comme actes d'institution », dans Actes de la recherche en
sciences sociales, n° 43, 1982, p. 58-63.
Recherches et travaux, vol. 37/2023
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