Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 129

Emilia SCHIJMAN
de l'ordre de 350 pesos mensuels, « je fais des acrobaties (malabarisme) ».
Lorsqu'on sait qu'un kilo de poulet coûte 131 pesos au moment de l'enquête,
un kilo de fromage, 196 pesos, on comprend la prouesse. Graciela jongle pour
faire tondre le gazon, faire le ménage, réparer les pannes d'ascenseur, changer
les portes régulièrement vandalisées ou cassées 15. Chaque ressource compte et
les celliers et locaux en rez-de-chaussée sont loués pour augmenter les recettes
de l'immeuble.
Un peu partout, on voit les administratrices qui tentent d'imposer des tâches
en compensation de fractions de dettes et de calculer le prix de ces tâches. De
ceux qui ne peuvent pas payer, que peut-on exiger ? Les dettes et les charges
communes fonctionnent alors comme une monnaie d'échange. Pour le ménage,
Graciela a recours à une jeune femme propriétaire « qui a besoin de travailler.
Je la paye et c'est une manière de l'aider ». Une autre jeune femme ne peut pas
payer les charges et assure dès lors la propreté du jardin. Les tâches classiquement
dévolues aux gardiens sont ainsi divisées en autant de corvées. Il en va
ainsi des tournées de surveillance de cette jeune femme qui sort de prison et ne
trouve pas de travail. « Quand elle peut, elle me donne 100 pesos. Mais elle
collabore. Quand il y a des gens bizarres, elle les met dehors ». Le capital physique
pèse à l'heure où l'on fait les comptes. Un autre propriétaire est serrurier.
« Pareil. Si une serrure est cassée (cela arrive trop souvent), il la répare et ce
mois-là, il ne paye pas les charges communes ». Lorsqu'on ne trouve pas dans
son immeuble l'artisan avec qui troquer les charges, on ira le chercher dans le
quartier, il sera plus cher mais on le connaîtra, il sera à « portée de main » et
surtout, il consentira à faire crédit. Tout a un coût et tout se paye.
Dans l'extrait de « main courante » qui suit, on peut lire la distribution de
tâches, l'évaluation qu'en fait le voisinage, les conflits qu'elle suscite 16. On
voit que les règles de la circulation monétaire (qui doit quoi) et de la distribution
des tâches (qui fait quoi en échange d'une part des charges communes)
sont l'occasion de vifs conflits, mais expriment aussi des attentions et des solidarités.
15.
Les administratrices sont contraintes d'épargner sur plusieurs mois et de sacrifier certains
postes budgétaires pour faire des réparations importantes. Dans l'immeuble de Yolande,
l'ascenseur est resté en panne trois mois durant et environ 150 personnes se retrouvaient bloquées
chaque matin. Malades et personnes âgées devaient alors monter et descendre dix ou
quinze étages par jour, ou bien rester enfermés et offrir quelques sous aux jeunes de
l'immeuble pour qu'ils fassent à leur place les petites commissions et les courses. Yolande a
décidé de supprimer le personnel de ménage, elle a réduit les dépenses au minimum et a fait
un emprunt à sa fille pour réunir les arrhes nécessaires au lancement des travaux. D'un mois à
l'autre, si le taux des débiteurs et retardataires augmente (20 % en moyenne), Yolande doit
avancer de l'argent en propre pour honorer la traite au technicien.
16. Source : main courante tenue par les assistantes sociales de l'Institut du logement, 2007.
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Recherches et travaux, vol. 37/2023

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