Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 164

Conclusion
" collectiviste " 40 ». Dans les immeubles moscovites, observe Hélène Richard,
les pouvoirs publics diffusent des « discours de responsabilisation » consistant
« à faire admettre que le logement est maintenant une marchandise circulant sur
le marché immobilier et, [...] plus particulièrement, un patrimoine dont on est
responsable » 41. Toutefois « l'éducation au droit de la copropriété valorise autant
le marché qu'elle réactive des " traditions " collectivistes soviétiques » 42.
Dans des contextes différents, mais de façon analogue, sur nos propres terrains
d'étude, plusieurs logiques économiques contrarient ou entrent en tension
avec la « rationalisation économique de l'immeuble 43 ». Même si nous ne pouvons
comparer terme à terme le fonctionnement des copropriétés que nous
avons étudiées avec celui d'immeubles où prévaut un « individualisme entrepreneurial
», nous pouvons nous référer à des travaux de socio-économie du
logement et nous appuyer sur les propos de nos informateurs pour dégager certaines
spécificités de nos cas d'étude. Dans certains contextes, quartiers bourgeois
ou refondés, nouveaux produits immobiliers de grandes villes, les propriétaires,
bailleurs ou occupants, agissent principalement en vue de maximiser
leur rente ou de revendre leur bien à prix fort. Le « rapport spéculatif au domicile
» préside aux décisions individuelles et collectives 44. Cet esprit de calcul
s'applique aussi aux décisions de travaux. L'expert en génie climatique qui a
assuré la maîtrise d'œuvre de la réhabilitation dans notre copropriété séquanodionysienne
compare le processus de décision dont il a été partie prenante avec
ce qu'il observe dans « des quartiers très privilégiés » : « [Aux copropriétaires
de ces quartiers] il ne faut pas dire : " voilà il faut tout faire, il y en a pour euh...
250 000 €. " Vous avez en face de vous des investisseurs, voyez c'est, c'est...
c'est une autre philosophie. Eux par contre [à la différence des copropriétaires
modestes, à Montreuil par exemple] sont assez peu sensibles à l'économie
d'énergie. Bah oui, le coût de l'énergie pour eux il est... [...] c'est pas un problème.
» (Ce coût leur apparaît comme peu élevé). Le calcul coût-avantage effectué
par les « investisseurs » des beaux quartiers parisiens où cet ingénieur
intervient prévaut sur ses conseils d'expert (qui consistent en l'occurrence à
faire valoir de petites économies de fonctionnement de long terme). Si la rationalité
instrumentale n'est pas étrangère aux logiques à l'œuvre dans les immeubles
que nous avons étudiés, celles-ci ne sont pas principalement tournées
vers la valorisation marchande des appartements et ne relèvent pas essentiellement
de l'univers du contrat. Les dons et contre-dons y ont une place essentielle.
La « logique de l'économie domestique » n'y a pas totalement cédé le
40. Hélène RICHARD, op. cit., p. 29.
41. L'autrice mentionne une vidéo réalisée par une association afin d'inciter « les habitants à " devenir
les patrons [khoziaïeva] de leur immeuble " » (« patron » s'opposant ici à « assisté »)
(ibid., p. 298, p. 300).
42. Ibid., p. 305.
43. Ibid., p. 307.
44. Louis GAUDREAU, « Quand le domicile devient un actif financier. Économie politique de la
financiarisation du marché de l'habitation au Canada », dans Revue française de socioéconomie,
vol. 18, n° 1, 2017, p. 157.
Recherches et travaux, vol. 37/2023
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