Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 167

Marie-Pierre LEFEUVRE
L'économie de l'immeuble, quelle qu'elle soit, préside à l'organisation du
travail au sein des copropriétés. Dans les cas étudiés, les copropriétaires se solidarisent
selon deux processus, référables à la fameuse dichotomie durkheimienne.
Dans le premier cas, la solidarité est de nature mécanique : toutes les
personnes impliquées dans le travail pour l'immeuble effectuent les mêmes
tâches ou sont susceptibles de les effectuer (ces tâches peuvent être organisées
de façon à être égalitairement réparties) ; dans le second, elle est de nature organique
(les activités sont complémentaires les unes des autres, sciemment réparties
entre des personnes réputées qualifiées pour les exercer) 54. Ce résultat
incite à une réévaluation de la propriété indivise considérant le « lien de solidarité
active [...] entre les copropriétaires », selon la suggestion de Mikhaïl D.
Xifaras 55.
« Communalisation » de la propriété et expansion du champ
de l'indivision
Au travers des solidarités qui découlent du travail pour l'immeuble, le droit
de propriété se collectivise. La solidarité forcée entre copropriétaires d'un
même bien fait place à des processus de « communalisation 56 ».
Le droit formel de la copropriété est généralement conçu de façon que les
copropriétaires d'un même immeuble soient assurés de ne pas dépendre financièrement
les uns des autres (la copropriété indivise québécoise est à cet égard
une notable exception). Et, bien souvent, les acheteurs d'appartements sont peu
conscients des obligations qu'implique la responsabilité collective sur la gestion
des parties communes. De surcroît, le risque inhérent au fait d'être de facto
associé aux autres indivisaires est généralement érigé en tabou 57. Pourtant, de
façon très notable dans les copropriétés étudiées, les copropriétaires en parlent
et y font face. Des arrangements sont pris de façon à impliquer les moins fortunés
dans un projet de travaux ou à éviter qu'ils ne soient contraints de vendre
leur logement ; les stratégies d'investissements prennent en compte le faible
niveau de revenu d'une partie des copropriétaires... Dans certains cas,
l'entraide est poussée jusqu'à la mutualisation des risques. Celle-ci peut prendre
la forme de solutions d'épargne collective, mobilisable en « cas de coups
durs ». Et nous avons vu des copropriétaires impliqués dans la gestion de
l'immeuble s'opposer à l'individualisation des charges, au nom de la défense
de l'être collectif de la copropriété (garant de son existence ainsi, bien sûr, que
du pouvoir qu'ils exercent sur elle).
54. Émile DURKHEIM, De la division du travail social, PUF, Paris, 2004 [1930].
55. Mikhaïl Dorel XIFARAS, La propriété. Étude de philosophie du droit, PUF, Paris, 2004, p. 144.
56. Le terme de « communalisation » est emprunté à Max Weber.
57. Marie-Pierre LEFEUVRE, « Confiance et rationalité de la méconnaissance du risque dans la
(co)propriété », dans Cahiers internationaux de sociologie, vol. 114, 2003, p. 73-92.
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Recherches et travaux, vol. 37/2023

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