Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 168

Conclusion
Ces stratégies ne s'arrêtent pas aux frontières des parties communes. Un
certain degré de collectivisation de la gestion des parties privatives peut être
observé. Le projet d'engager collectivement des travaux sur les parties privatives
peut germer, par exemple lorsque la mauvaise isolation des fenêtres fait
obstacle aux économies d'énergie promises par la nouvelle chaudière ; lorsque
la vétusté des robinets de radiateurs empêche la généralisation d'une consommation
d'énergie plus économe ; lorsque l'achat groupé de nouvelles serrures
permet une économie d'échelle... Ces comportements brouillent la distinction
entre parties communes et privatives, butent sur la qualification de tel ou tel
élément du bâti, questionnent la frontière entre les unes et les autres et, bien
souvent, œuvrent pour la ré-imbrication du propre et du commun.
L'importance du travail accompli par les copropriétaires relativise la portée
des organes de décision. L'économie de l'immeuble se construit au quotidien,
davantage que lors des assemblées générales ou dans le bureau du syndic. Elles
procèdent de pratiques et non de « décisions ». Plus exactement, aucun hiatus
ne sépare les délibérations, les votes relatifs à la gestion du patrimoine et les
efforts accomplis par une partie des copropriétaires pour faire fonctionner
l'immeuble, l'entretenir, le réparer... La préparation des choix soumis à
l'assemblée générale est d'ailleurs explicitement incluse dans le travail pour
l'immeuble. Un spécialiste de l'habitat participatif interrogé observe : « Quand
ça bloque, c'est-à-dire que ça a été mal travaillé au départ. » Selon un raisonnement
analogue, un syndic juge que le conseil syndical fait bien son « travail »
lorsqu'il sait prendre et faire prendre des décisions. De fait, les copropriétaires
engagés font en sorte que les options, relatives aux travaux ou au partage des
charges, « mûrissent » et se diffusent de proche en proche avant d'être portées
devant l'assemblée générale. C'est ainsi que les solidarités que (re)produit leur
coopération se généralisent à l'ensemble des copropriétaires et sont instituées.
Si le travail pour l'immeuble n'est pas partagé par tous, les règles qu'il génère
le sont.
Dans ces processus, le voisinage joue un rôle essentiel. En cela, les cas que
nous avons choisi d'étudier se distinguent de ceux où la gestion est nettement
plus rationalisée. Ainsi Bruno Cousin observe-t-il que, dans les quartiers refondés
où se cultive un « entre-soi » de cadres du privé, la familiarité entre voisins
est sciemment limitée : elle gênerait la résolution des problèmes de voisinage et
ceux relatifs à la gestion de la copropriété. Des problèmes sont soulevés de manière
franche et directe et doivent être résolus « de façon optimale et dans les
plus brefs délais ». Dans cette sphère comme dans celle du travail, la relation
interpersonnelle doit être « productive » et nettement tournée vers la valorisation
marchande du patrimoine 58. À l'inverse, dans les copropriétés moyennes et
populaires étudiées, une fonction régulatrice est conférée aux relations de voi58.
Bruno COUSIN, « Entre-soi mais chacun chez soi L'agrégation affinitaire des cadres parisiens
dans les espaces refondés », dans Actes de la recherche en sciences sociales, n° 204, 2014,
p. 98.
Recherches et travaux, vol. 37/2023
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