Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 20

Introduction
fessionnalisation de leur gestion 53 ; les milieux où une « conception [de la propriété]
désencastrée de l'usage » prévaut 54 : les lieux d'habitation des catégories
supérieures du pôle privé ou de la grande bourgeoisie 55. Faisant ce choix,
nous ne postulions pas que ces dernières seraient dispensées du travail de reproduction
de leur position et de leurs ressources sociales (par exemple la valeur
immobilière de leurs biens immobiliers) auquel se livre n'importe quel
groupe social. Nous nous fondions sur la conception étroite du « travail pour
l'immeuble » introduite par Hélène Richard.
Ce travail « se définit relativement à d'autres types de travaux : l'occupation
professionnelle effectuée en dehors du domicile et le travail domestique 56 ».
Les « savoirs de métier » caractéristiques des classes populaires (non nécessairement
pauvres, mais occupant des positions socialement subordonnées) 57 peuvent
être mobilisés hors de la sphère professionnelle 58. Peuvent aussi l'être des
manières de faire et des logiques d'action acquises dans les activités de production
domestique 59. Après d'autres auteurs, nous supposons que, pour les propriétaires
les plus modestes, travailler pour l'immeuble est d'autant plus nécessaire
que la mise en œuvre du droit de propriété et la valeur des biens possédés
ne vont pas de soi. A priori, les copropriétaires d'immeubles situés dans des
quartiers relativement peu valorisés payent davantage de leur personne pour
« améliorer leur habitat » et actualiser la valeur latente de leur propriété, à
l'image des immigrés polonais de Brooklyn étudiés par Stabrowski 60. Une motivation
du même ordre amène les petites classes moyennes « gentrifieuses » à
mettre à profit leurs compétences professionnelles pour transformer leur habitat
61. Elles peuvent ainsi s'impliquer dans la gestion des immeubles dans lesquels
elles s'installent, ainsi dans le quartier Sainte-Marthe à Paris : « La situation
commune des copropriétés du quartier Sainte-Marthe, avant l'arrivée des
" gentrifieurs " , était le plus souvent catastrophique. [...] De façon presque sys53.
Eleonora ELGUEZABAL, op. cit.
54. Emilia SCHIJMAN, À qui appartient le droit ? Ethnographier une économie de pauvreté, LGDJ,
Paris, 2019, p. 129.
55. Loraine BOZOULS, op. cit.
56. Hélène RICHARD, op. cit., p. 390.
57. Olivier SCHWARTZ, « Peut-on parler des classes populaires ? », 13 septembre 2011, dans laviedesidees.fr
58.
Florence WEBER, Le travail à côté. Une ethnographie des perceptions, Éditions de l'EHESS,
Paris, 2009 [1989].
59. Emilia SCHIJMAN, op. cit.
60. " Information and finance, however necessary, were by themselves insufficient for Polish migrants
to be able to maintain and upgrade their enclave properties. [...] The notion, prevalent
among Polish migrants, that landed property must perforce be combined with labor in order to
make ownership feasible and sensible, meant that the value of enclave property was not so
much given but latent - only realizable through processes of improvement " (Filip
STABROWSKI, " Social Relations of Landed Property: Gentrification of a Polish Enclave in
Brooklyn " , dans American Journal of Economics and Sociology, 77, 1, 2018, p. 29-57).
61. Anaïs COLLET, Rester bourgeois. Les quartiers populaires, nouveaux chantiers de la distinction,
La Découverte, Paris, 2015.
Recherches et travaux, vol. 37/2023
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