Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 71

Marie-Pierre LEFEUVRE et Flavia LEONE
Le groupe des « anciens » est d'autant plus attentif au respect des normes en
vigueur que de nouveaux venus les questionnent. Une controverse sur l'usage
de la pelouse constitue un bon analyseur des deux positions antagonistes. Julien,
alors qu'il venait de s'installer à La Forêt, fut à l'initiative de la première
« fête des voisins ». Depuis cet événement, il entend promouvoir un usage récréatif
de la pelouse, vaste espace vert au cœur de la parcelle, actuellement réservée
à une fonction d'apparat (fonction que Julien discute : la pelouse, selon
ses propres standards, est « miteuse »). Lors de la première réunion du conseil
syndical à laquelle nous assistons (4 août 2018), Julien est invité à présenter sa
proposition, également soutenue par Élodie et son compagnon, Guillaume (non
copropriétaire) 34. Les plus anciens, fort sceptiques, lui rétorquent que ce changement
nécessite une modification du règlement, ce que Guillaume conteste.
« J'ai l'impression qu'on prend tout mal. On a le droit d'aller sur cette pelouse.
Un espace commun, ça demande un civisme entre les copropriétaires. » Il se réfère
ici à une norme non spécifique à la copropriété et se fonde sur l'exemple de
celle, de 600 logements, où il a habité enfant. « Un espace qu'on utilise, on fait
plus d'attention, mais pourquoi le mettre à l'AG ? Qu'est-ce qu'on va voter ? La
proposition d'utiliser cet espace ? » Aux objections d'Alain, il répond qu'il lui
paraît absurde de devoir voter pour modifier le règlement alors que celui-ci est
muet sur le sujet.
Delphine, Catherine et Alain insistent pour que la question soit mise à l'ordre du
jour de la prochaine assemblée.
Élodie rappelle qu'il n'est pas interdit d'aller sur la pelouse : « Ce qu'on peut
faire, c'est commencer à le faire et les autres suivront. » Elle continue : « Ce
n'est pas parce que les choses ont été toujours interdites qu'on ne peut pas les
changer, je vais être un peu dure là... »
Alain riposte : « Les gens vont dire je suis chez moi, je fais ce que je veux. »
Élodie : « Non, tu ne fais pas ce que tu veux, c'est une copropriété. »
Face à ce dilemme, les défenseurs du statu quo s'en remettent au syndic, qui
représente une légalité sur laquelle s'appuie l'ordre local qu'ils défendent. Cette
certitude est bousculée. On le comprend en écoutant Catherine, découvrant
qu'une norme « acquise » n'est pas inscrite dans le règlement : « Je pense que
dans la tête des gens, même dans la tête du syndic, parce que c'est une question
qui avait été posée au syndic, ils avaient dit : Non, non, c'est interdit. Et donc, à
l'époque on s'était référés au syndic et pas au règlement. Et c'est [le syndic] qui
a creusé par l'insistance de Julien. C'est... par l'insistance de Julien [...qu'il] a
été voir, il a dit : non finalement, non c'est pas marqué. [...] Puis on le connaît
pas par cœur [le règlement]. Et puis ça fonctionne, et puis c'est quelque chose
pour nous d'acquis hein. Franchement quand j'ai répondu à Julien, au début,
34. Guillaume, cadre dans le secteur social, est propriétaire d'un autre appartement et revendique
une bonne connaissance du droit de la copropriété.
71
Recherches et travaux, vol. 37/2023
Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété

Table des matières de la publication Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété
