Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 72

Entre « travail de patrimonialisation » et collectivisation des parties communes
j'étais persuadée qu'il allait se... il allait prendre un... il allait droit dans le
mur. Ben pas du tout. »
Cette découverte conduit les « anciens » à demander une modification du
règlement. Car l'indétermination de la règle apparaît plus dangereuse que
l'éventualité d'un changement d'usage : « Donc j'ai dit : Ok bon, donc de toute
façon c'est un point à régler, à débattre. Si on [le conseil syndical] ne dit pas
non aujourd'hui on dira peut-être non demain ou oui demain, on ne sait pas.
Mais de toute façon c'est au collectif, c'est à la copro de décider. »
Cette vigilance à l'égard de l'usage des espaces extérieurs répond à une
crainte, exprimée par Alain en réunion de conseil syndical : « Ils vont inviter
des copains. Malheureusement on est à Montreuil. » Le statu quo doit être défendu
: « Ça fait 25 ans que je suis là, il n'y a pas eu de problème [...] Regarde
le Bois de Vincennes : depuis que les pelouses sont autorisées il y a des rats. »
Il raconte qu'il a fait le tour de la copropriété et a ramassé « plein de bouteilles
». Il rappelle qu'avant la pose de la grille et de la porte à l'entrée de la
résidence, les jeunes venaient « même avec des mobylettes ».
La bonne tenue des espaces extérieurs est le résultat d'une conquête liée à la
fermeture de la copropriété par une grille. Cette frontière physique résulte d'un
effort de séparation et de différenciation nécessaire parce « qu'on est à Montreuil
» et parce que le risque de promiscuité n'est pas seulement extérieur à la
copropriété. Les « jeunes » évoqués ont des copains sur place. Sont ici à
l'œuvre des processus analogues à ceux observés par Eleonora Elguezabal dans
des gatted communities de Buenos Aires : « Les " copropriétés fermées " ne le
" sont " pas : elles le deviennent, et jamais de façon uniforme ni définitive, suite
aux actes de classement dont elles font l'objet. [...] Le caractère " fermé " d'un
espace résidentiel n'est donc pas défini par avance lors de sa promotion et de sa
construction ni lors de l'emménagement des habitants. Il fait constamment
l'objet de conflits et de négociations qui engagent des groupes sociaux divers
35. » La pelouse a valeur de symbole. Le gazon d'apparat opère une sorte
de « magie sociale 36 ». Il a un effet classant, plus nécessaire encore pour ceux
dont les positions sociales ou les trajectoires ascensionnelles sont fragiles, peu
différentes de celles de la population environnante.
À l'inverse, le groupe des nouveaux arrivants se montre attentif aux « vides
juridiques », questionnant directement le règlement de la copropriété, pour défendre
leurs projets. Par cette expérience Julien réalise, après coup, que
l'indéfinition de la règle lui est favorable :
35. Eleonora ELGUEZABAL, « Transactions économiques et marquage des frontières autour des
" copropriétés fermées " à Buenos Aires », dans Espaces et sociétés, vol. 155, n° 4, 2013, p. 2728.
36.
Pierre BOURDIEU, « Les rites comme actes d'institution », dans Actes de la recherche en
sciences sociales, n° 43, 1982, p. 58-63.
Recherches et travaux, vol. 37/2023
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