Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 73

Marie-Pierre LEFEUVRE et Flavia LEONE
« Julien : la fête des voisins pour le coup j'ai compris qu'effectivement il valait
mieux ne rien définir, pour laisser la liberté de le faire [...] il vaut mieux rien
préciser sinon c'est se retrouver plutôt dans une situation inverse, c'est-à-dire, ce
qu'on propose est refusé, donc résultat on ne peut plus le refaire. Donc je ne savais
pas ça, et c'est grâce au conseil syndical que j'ai compris ça.
Enquêtrice : c'est-à-dire ?
Julien : Que des fois il vaut mieux laisser de l'ambiguïté dans un truc plutôt que
de le définir précisément, parce que vu qu'en fait en définissant précisément on
se heurte à une réaction qui est clairement l'inverse de ce qu'on avait prévu, il
vaut mieux pas poser la question. »
Le rapport que les copropriétaires récemment arrivés, plus dotés socialement
et culturellement, entretiennent avec les parties communes et leurs usages
s'inscrit dans un nouveau système de valeur, en rupture avec celui des anciens.
Selon eux, les conflits peuvent être résolus au travers du dialogue (dans lequel
ils ne doutent pas de pouvoir imposer leurs vues) ; le « vivre-ensemble »
s'apprend par le partage, l'usage des espaces communs et la sociabilité entre
voisins. « Expérimentateurs de rapports sociaux consensuels », selon la formule
de Catherine Bidou, ils promeuvent l'idée de propriété commune, s'opposant à
ceux pour qui la gestion des parties communes doit surtout préserver/valoriser
la valeur financière et symbolique des appartements 37. Leur conception de la
copropriété peut être rapprochée de celle mise en œuvre dans la copropriété
participative Casa Alta, où gestion de l'immeuble et « vivre ensemble » vont de
pair.
3.8. Le travail de patrimonialisation
La défense de la pelouse est révélatrice du travail de patrimonialisation auquel
se livre de longue date le conseil syndical. Ce travail rassemble des copropriétaires
dont les stratégies patrimoniales sont marquées par l'incertitude :
parce que leur position sociale et leur rapport à la propriété ne sont pas assurés,
ils s'efforcent d'actualiser la valeur de leurs biens, de s'assurer qu'elle est effective
38. Ils ont acheté à un moment où la mise en valeur de la copropriété nécessitait
un combat permanent contre l'environnement. Le statut de propriétaire,
le bien lui-même ont pour eux une valeur symbolique qu'ils cherchent à
consolider. Le travail au sein du conseil syndical apparaît comme le prolongement
de leur investissement. Catherine explique les raisons pour lesquelles elle
37. Catherine BIDOU, Les aventuriers du quotidien, PUF, Paris, 1984.
38. " ... landed property must perforce be combined with labor in order to make ownership feasible
and sensible, meant that the value of enclave property was not so much given but latent -
only realizable through processes of improvement... " (Filip STABROWSKI, " Social Relations
of Landed Property: Gentrification of a Polish Enclave in Brooklyn " , dans American Journal
of Economics and Sociology, 77, 1, 2018, p. 29-57).
73
Recherches et travaux, vol. 37/2023

Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété

Table des matières de la publication Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété